Un colon et ses enfants dans une rue d’Hébron interdite aux Palestinien·ne·s. © Dominik Wach
Un colon et ses enfants dans une rue d’Hébron interdite aux Palestinien·ne·s. © Dominik Wach

MAGAZINE AMNESTY Territoires occupés Résister à l'occupation

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°75, publié par la Section suisse d’Amnesty International, décembre 2013.
Située au cœur des territoires occupés, Hébron constitue l'un des épicentres du conflit israélo-palestinien. Dans cette ville divisée en deux cohabitent une majorité de population palestinienne et une minorité de colons israéliens. Ces derniers revendiquent l'endroit en raison de la présence du tombeau d'Abraham, second lieu saint du judaïsme. Ouvertement soutenue par l'Etat d'Israël, leur présence, contraire au droit international, s'accompagne de nombreuses violations des droits humains. Par Juliette Müller, de retour des territoires occupés.

Vingt arrestations et plusieurs menaces de mort. C'est ce qu'il en coûte à qui décide de dénoncer l'occupation israélienne des territoires palestiniens. C'est du moins le cas pour Issa Amro, qui a fondé Youth Against Settlements (YAS, Jeunesse contre la colonisation) avec d'autres jeunes Palestiniens d'Hébron. Basée à quelques mètres de l'une des quatre colonies israéliennes implantées au cœur de la cité, l'organisation, qui se définit comme un « groupe militant cherchant à mettre un terme à la colonisation israélienne de la Palestine à travers la lutte populaire non violente et la désobéissance civile », fait office de lieu de rencontre et d'animation dans ce quartier parmi les plus conflictuels de la ville, ainsi que de base pour l'organisation d'actions politiques non-violentes.

«No peace with settlements» (Pas de paix avec la colonisation) proclame la banderole brandie ce jour-là par plusieurs des militants devant un bâtiment qui pourrait bien se transformer en une nouvelle colonie israélienne au cœur d'Hébron. Occupé en 2007 par des colons, puis évacué de force en 2008 dans l'attente d'une décision des plus hautes instances judiciaires israéliennes, il devrait prochainement faire l'objet d'un verdict définitif. Une colonie de plus dans cet endroit stratégique situé au sein d'un quartier palestinien représenterait un pas significatif dans la colonisation progressive de la cité, d'où la manifestation d'aujourd'hui. Depuis l'établissement de la colonie de Kiryat Arba aux abords de la ville au lendemain de la guerre des Six jours en 1967, et malgré l'illégalité de toutes les colonies au regard du droit international, le nombre de colons n'a en effet cessé d’augmenter, amenant avec elle son lot de discriminations, d’abus et de violences à l'égard de la population palestinienne, et contraignant beaucoup de personnes au déplacement forcé.

Restrictions et harcèlement

«Nous n'avons rien contre le fait que des juifs habitent ici, mais pas s'ils nous chassent de nos maisons et arrêtent nos enfants!», affirment les militants de YAS. Ils proviennent pour la plupart de «H2», la partie de la ville restée sous contrôle militaire israélien suite au protocole d'Hébron de 1997, alors que la majorité passait sous autorité palestinienne. Ici, trente mille Palestiniens cohabitent avec cinq cents colons placés sous la protection de mille cinq cents soldats de Tsahal. Ils voient leur quotidien marqué par d’innombrables restrictions et harcèlements. Pour des raisons de «sécurité», plus de mille huit cents commerces de la zone ont été fermés1, et les environs immédiats des colonies sont interdits aux Palestiniens, aussi bien à pied qu'en véhicule. «Des mesures qui seront également prises aux abords d'une éventuelle nouvelle colonie», explique l'un des manifestants présents ce jour-là. Soumis à la loi martiale, alors que les colons sont soumis à la loi civile, régime discriminatoire que beaucoup qualifient d’«apartheid», les Palestiniens de la zone font en outre l'objet de fréquentes violences de la part des colons.

Agir

Face à l'injustice, les jeunes de YAS ont décidé de ne pas rester les bras croisés. Outre des manifestations comme celle d'aujourd'hui, ils organisent des ateliers vidéo pour apprendre aux habitants à documenter les violations des droits humains dont ils sont victimes, fournissent des conseils aux familles ou donnent des cours d’hébreu pour permettre aux mères de comprendre les soldats qui font irruption dans leur maison en pleine nuit. «Nous voulons lutter contre le sentiment d’isolement des habitants, leur faire sentir qu’ils ne sont pas seuls», explique l'un d'eux. Le dernier projet de l'organisation, c'est la rénovation d'une habitation pour en faire un jardin d'enfants, qui contribuera à ramener de la vie dans un quartier déserté par beaucoup de ses habitants. L'armée et les colons sont venus plusieurs fois tenter d'interrompre les travaux, mais les volontaires n'ont pas abandonné.

Arrestations arbitraires

mag75_Palestine2.jpg Le nombre de colons israéliens dans les quartiers palestiniens d’Hébron n’a cessé d’augmenter. © Dystein Nedrebo

«Les habitants ont parfois peur d'approcher notre organisation par crainte de la répression de l'armée et de la police israéliennes», explique Issa Amro, qui nous confie du reste avoir été convié à se rendre à la police suite à la manifestation de ce jour. «Probablement une nouvelle arrestation», commente-t-il, presque blasé tant cela est devenu pour lui une habitude. Parmi les membres de YAS, rares sont ceux qui n'ont pas été arrêtés une ou plusieurs fois, souvent sans raison ou sur la base d'accusations sans fondement. D'une durée de quelques heures à quelques jours, voire plus, ces arrestations sont vécues comme un véritable harcèlement. «L'un des militants a cessé de venir au centre car il craignait d'être arrêté et de ne pouvoir assister à son mariage qui doit avoir lieu dans deux mois!», raconte Issa. Un exemple qui illustre la menace permanente qui plane sur la tête des militants. «En général, les arrestations sont effectuées pour faire plaisir aux colons», estime Issa, qui considère que les personnes qui dénoncent la situation à Hébron sont particulièrement visées.

L'intimidation va même parfois plus loin. En juillet, un individu non identifié a tiré à balles réelles en direction de plusieurs membres de YAS assis devant leur centre. «Depuis, beaucoup ont cessé de venir par peur pour leur sécurité. Quand on demande la protection de la police, on n’obtient aucun résultat. Les policiers m’ont d'ailleurs conseillé de quitter la zone car ils ne peuvent pas me protéger!», explique Issa. Selon les chiffres fournis par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), nonante pour cent des plaintes déposées par des Palestiniens pour violences de la part des colons en Cisjordanie sont en effet classées sans suite, si bien que beaucoup ne se donnent même plus la peine de porter plainte.

En août 2013, plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies exposaient leurs profondes préoccupations à propos de la situation des droits humains dans les territoires occupés. Ils dénonçaient le «haut degré de complicité de l'armée israélienne face à la violence des colons contre la population palestinienne» et en particulier la situation de Issa Amro, victime selon eux d'un «schéma de harcèlement». «Cela représente un petit pas, mais nous avons besoin de plus de soutien politique et de pression sur Israël de la part de la communauté internationale», estime le concerné.

1 Chiffres fournis par Temporary Internationl Presence in Hebron (TIPH)