Les ex-rebelles de la Séléka et les milices anti-balaka se livrent une guerre sans merci. Un conflit communautaire sur fond d’intérêts économiques. © REUTERS / Joe Penney
Les ex-rebelles de la Séléka et les milices anti-balaka se livrent une guerre sans merci. Un conflit communautaire sur fond d’intérêts économiques. © REUTERS / Joe Penney

MAGAZINE AMNESTY Actuel Nettoyage ethnique au cœur de l’Afrique

Article paru dans le magazine AMNESTY, n°76, publié par la Section suisse d’Amnesty International, mars 2014.
Depuis un an, la République centrafricaine est le théâtre d’affrontements sanglants, et cela malgré la présence de cinq mille soldats africains et de mille six cents soldats français. Ce pays quinze fois grand comme la Suisse n’abrite que la moitié de la population helvétique: à peine quatre millions et demi de personnes. Un quart des habitant·e·s est aujourd’hui en fuite à cause d’une des guerres civiles les plus meurtrières depuis des décennies.
Marc Engelhardt
est auteur et correspondant en Afrique de longue date. Il vient de publier un ouvrage sur l’utilisation de la terreur en Afrique: Heiliger Krieg,
Heiliger Profit.

L’Union européenne ne veut pas envoyer plus de cinq cents soldats supplémentaires. «Une mesure insuffisante au vu de la situation», comme l’a exprimé de façon très diplomatique le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon. Une équipe d’Amnesty International qui s’est rendue en République centrafricaine en février demande aux forces internationales sur place d’empoigner le problème des anti-balakas (anti-machettes). Fondées comme un mouvement de défense civil, ces milices se sont depuis autoproclamées défenseuses du christianisme et s’en prennent sans discernement aux musulman·e·s. A Bossembélé, dans le Nord-Ouest du pays, les anti-balaka auraient massacré au moins cent personnes, parmi lesquelles des femmes et un imam de septante ans.

Même les enfants qui fuient les combats sont froidement exécutés. Des méthodes qui, selon Donatella Rovera, chercheuse à Amnesty International, relèvent de l’épuration ethnique: «Le résultat est un exode sans précédent des musulman·e·s.»

En face, les adversaires des anti-balaka ne sont pas moins cruels. Les rebelles de la Séléka, qui ont organisé le coup d’Etat pour porter Michel Djotodia au pouvoir il y a un an, ont déclenché un exode massif en massacrant la population chrétienne. Ils ont quitté la capitale Bangui après le retrait de Djotodia au début de l’année. Ils se regroupent maintenant dans le Nord-Est, semant la terreur et la désolation. Beaucoup de combattants de la Séléka sont des mercenaires. Ce sont d’anciens rebelles du Darfour ou de l’Est du Tchad. Ils n’ont rien à perdre. Les rumeurs selon lesquelles les troupes tchadiennes ont été impliquées dans des atrocités renforcent la peur dans la population. De retour d’un voyage à travers le pays, le coordinateur de l’aide humanitaire des Nations unies, John Ging, a rapporté le témoignage de villageois·es qui s’étaient caché·e·s pendant des semaines dans la brousse. «Ils m’ont dit: nous avons le choix entre mourir ici par manque de nourriture et de médicaments ou retourner au village pour y être assassinés.»

Selon John Ging, la situation ressemble à celle du Rwanda ou de la Bosnie avant les génocides. La guerre civile se déroule sur fond de lutte pour le pouvoir et l’argent. La religion n’est qu’un prétexte pour contester l’hégémonie d’une petite élite qui domine le pays. La richesse, toute relative, des commerçant·e·s et des paysan·ne·s musulman·e·s est utilisée pour attiser les ressentiments.

La République centrafricaine est un pays pauvre, quoique riche en matières premières. Outre des diamants, de l’or et du bois tropical, le pays regorge d’uranium qu’exploite la société française Areva dans l’Ouest. Qui siège à Bangui a accès à la trésorerie de l’Etat. Raison pour laquelle il n’y a eu aucune transition démocratique depuis l’émancipation de la tutelle française en 1960.

Marc Engelhardt