Pour clore un cours de six mois de droit suisse, Sylvie Andreae, enseignante au Gymnase de Chamblandes à Pully, a choisi d’ouvrir l’horizon sur le droit international par la lunette de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Invitation fut donc lancée à l’équipe Education aux droits humains d’Amnesty International. Depuis des années, elle met à disposition une offre pédagogique adaptée aux besoins et à l’environnement scolaires. Chantal et Angela sont à pied d’oeuvre.
Travaux d’approche
Bourdonnement de l’entrée en classe. Sacs à dos jetés au pied des bureaux. Vue sur le Léman dans le flou d’une nuit qui s’étire dans les yeux des élèves qui l’auraient volontiers prolongée au lit. Sur les bureaux, les reliefs du cours de la veille: Molière et son Malade imaginaire. Devant le tableau, les profs d’un jour pour évoquer un malade qui n’a rien d’imaginaire: le monde et ses innombrables violations des droits humains. Silence, on tourne: «Qui est cette dame sur la photo?» Perplexité. «Et ce texte à l’écran?» Quelqu’un ose dans un souffle: «La Déclaration universelle des droits de l’homme». Oui. Ouf! Quelques rires. L’honneur est sauf. Les élèves donnent leur langue au chat pour Eleanor Roosevelt, la dame de la photo. Et c’est parti! L’écoute est de qualité. Aucun·e ne rechigne à se prêter au jeu des questions réponses. Et cette autre photo? Oui, on reconnaît: Guantánamo. Et ce visage? Aïe, non, on ne sait pas. Pas grave, on est là pour apprendre. Et la Russie, les Pussy Riot, les militants de Greenpeace, la discrimination des homosexuel·le·s. Oui, oui, on est au courant. Certain·e·s ont déjà été libéré·e·s. D’autres…
La Déclaration universelle des droits de l'homme sert de référence et de base à des travaux pratiques.
© Jean-Marie Banderet
Chantal et Angela enchaînent. Affirmation: «En Suisse, les droits humains sont respectés. D’accord? Pas d’accord?» Les élèves sont spontanément d’accord. Les animatrices donnent alors un timide coup de pouce: «Ah bon, et… les inégalités de salaires… hommes-femmes?» C’est vrai, tous les êtres humains naissent libres et égaux… On n’avait pas fait le lien… Les droits de l’homme sont aussi ceux des femmes, et là, il y a encore quelque chose à dire, pas vrai? On poursuit.
«Faut-il restreindre la liberté d’expression?» Les avis sont plus mitigés. «Non, mais… Oui, mais…» On se concentre pour argumenter. «Non, sauf si on nuit à quelqu’un. Oui, en temps de guerre.» Le dialogue s’engage, réfléchi, sérieux.
Circulent des textes avec photos. Des cas bien réels pour donner un visage aux victimes: bons baisers de Russie, du Mexique, du Cambodge, d’Ethiopie, de Palestine… La consigne: décryptage de chaque cas, texte de la DUDH en mains. Quels sont les droits fondamentaux bafoués? On cherche, on compare, on décortique arrestations, accusations, condamnations et droits violés. On reprendra après la pause.
Prise de conscience
Beaucoup restent dans la salle. On discute à bâtons rompus. Deux filles: «Tu te rends compte! Dix-huit ans de prison pour ce journaliste éthiopien qui a écrit un article critique sur son gouvernement!» Deux garçons: «Accusé de terrorisme pour ça! C’est révoltant!» On feuillette le fascicule de la DUDH. Connaître les droits et s’approprier le texte pour se faire l’avocat d’un jour.
Dans les couloirs, les discussions s’animent. Un élève parle de la chance qu’on a en Suisse. Un autre hausse les épaules, manifeste son sentiment d’impuissance. Le premier reprend sur son envie de s’engager une fois ses études terminées. Une vocation est-elle née? Pour cette autre fille, il y a des choses à faire concrètement, avec les moyens dont nous disposons. Ouvrir des pages Facebook, poster des informations, créer des événements, faire le buzz un peu partout… Les idées s’emballent.
Exercices pratiques
On reprend sans se faire prier. Pour chaque cas, les participant·e·s ont identifié les articles violés: le premier, le deuxième, le cinquième, le vingtième… Les animatrices sont interpellées. «Est-ce que le peuple russe devrait se soulever? Si Poutine chute, la Syrie retrouvera-t-elle sa liberté?» Des envies de questions. Des envies de réponses.
Un dernier tour de classe: «Le fait d’avoir abordé des cas concrets en Russie, au Cambodge ou en Ethiopie, nous permet de mieux nous rendre compte de la réalité. Ça nous donne aussi une information
sur nos propres droits et l’envie de se mobiliser pour faire changer les choses, mais il faudrait encore plus d’informations et plus d’exemples. Que pourrait-on faire pour y remédier?»
Repartir les mains pleines
La graine est semée. De cette Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qu’en feront ces jeunes de quinze à dix-sept ans de 2014? Une boulette destinée à la première corbeille venue? Une lecture active pour demain? L’article premier et les suivants ont fait leurs premiers pas dans la classe. |
Amnesty s’invite à l’école
L’éducation aux droits humains (EDH) vise à promouvoir une culture des droits humains. Le but est que le plus grand nombre de personnes connaissent ces droits afin de pouvoir non seulement les défendre pour elles-mêmes, mais aussi s’engager pour ceux des autres.
En Suisse, Amnesty vise particulièrement les jeunes de quinze à vingt ans. L’organisation propose des ateliers interactifs – plus de septante animations ont lieu chaque année. Amnesty propose aussi du matériel pédagogique en ligne et offre des formations continues aux enseignant∙e∙s qui souhaitent intégrer l’EDH dans leurs cours: www.amnesty.ch/ecole
Aline Favrat, coordinatrice Education aux droits humains