ALINE JACCOTTET est journaliste indépendante, spécialisée dans le Proche-Orient
Sur des sentiers boueux traversant la montagne enneigée, Mouhannad et les siens ont cheminé des heures, des jours, des semaines. Ils ont connu le froid, la faim et la peur. Un matin, ils sont arrivés à Sahal Miniara, petit camp de fortune dans un champ du Nord du Liban. Dans ce refuge exposé au vent et à la pluie, qui n’offrait ni électricité ni eau chaude, mais beaucoup de chaleur humaine et la sécurité, Mouhannad a ajouté un abri fait de bâches, de mauvais ciment et de sol de terre. Et la famille y a posé ses valises.
Une patrie à l’horizon
Depuis, ils attendent. Que les Nations unies leur apportent du mazout. Que la neige et la pluie cessent de tomber. Mais surtout, comme tous les autres, Mouhannad et les siens attendent que la guerre prenne fin pour pouvoir revenir dans ce pays incendié, décimé, démoli, ce pays pourtant le leur: la Syrie.
Lorsqu’il fait beau, il suffit de grimper au sommet d’une colline pour en apercevoir les contours : la région d’Akkar où se sont rendus Mouhannad et les siens est située à l’extrême Nord du Liban, jouxtant la Syrie. De frontière, il n’en est néanmoins pas question dans ce paysage d’oliviers. Aussi loin que l’on regarde à l’horizon, aucune démarcation, aucun checkpoint : il n’y a que les cartes de géographie pour indiquer clairement les limites entre le «pays des cèdres» et son problématique voisin.
Un aide au compte-gouttes
C’est dire si la guerre civile toute proche angoisse les Libanais qui accueillent proportionnellement plus de réfugiés que tous les autres pays (voir encadré). Cet afflux pose des problèmes logistiques inimaginables au Liban, déjà incapable d’offrir le minimum à ses concitoyens. «Bien sûr, les Syriens sont des victimes, on ne peut pas leur fermer la porte. Mais ils n’ont rien et ils risquent de plonger notre pays dans le chaos», souligne ainsi Elias, élève d’un lycée catholique de Beyrouth.
Quant à l’aide internationale, elle n’arrive qu’au compte-gouttes et uniquement pour les plus désespérés, soit les familles sans homme adulte capable de travailler. Mouhannad et sa famille n’ont donc droit à rien, et peu importe que l’emploi soit une denrée rare, même pour les Libanais. «Je passe ma journée à chercher du travail et quand j’en trouve, je suis surexploité», se lamente Mouhannad, qui était électricien. Entre deux gorgées de thé, à la lumière d’une bougie, il soutient que les Libanais sont «racistes». «Ils ne nous aiment pas», dit-il dans un souffle, sa femme silencieuse à ses côtés.
Le spectre de la guerre civile
La coexistence forcée entre Libanais et réfugiés syriens est d’autant plus délicate que les relations entre les deux pays n’ont jamais été simples. Depuis la création du «pays des cèdres» en 1943, Damas pèse de tout son poids dans la politique intérieure de son petit voisin. Et le Hezbollah libanais est un fidèle allié du régime de Bachar al-Assad, envoyant sans compter, depuis Beyrouth-Sud, ses militants prêter main-forte aux chabiha, les redoutables milices de Damas.
Et puis, les Libanais ne peuvent oublier leur sanglante guerre civile (1975-1990), qui avait débuté par la militarisation des camps de réfugiés palestiniens. La crainte que ce tragique scénario se répète explique pourquoi Beyrouth refuse que les Syriens soient regroupés dans des camps, ce qui permettrait pourtant de les secourir plus efficacement.
L’espoir fou du retour
La guerre, la guerre, la guerre. Hantés, Mouhannad et sa famille vivent avec elle du matin au soir. Au-dehors de leur abri qui ne compte qu’une pièce, recommence à souffler un vent glacial qui transit, jusque sous les couvertures. Se laver, aller aux toilettes est une torture : les sanitaires extérieurs sont exposés aux courants d’air qui éteignent systématiquement les bougies. Dans cet infini calvaire où l’on ressasse les souvenirs de la vie d’avant, celle où les mariages étaient plus nombreux que les enterrements, celle où l’on mangeait à sa faim et dans la dignité, un espoir fait vibrer Mouhannad: celui du retour. «La prochaine fois, nous vous accueillerons chez nous à Qousseir. Bientôt, plus personne n’y craindra pour sa vie et son avenir», dit-il sur le pas de son abri. Inshallah.