Pas de geôles sordides dans lesquelles les aveux sont extorqués à coups d’électrochocs, de matraque ou de privation de sommeil. La Suisse ne pratique pas la torture. Pourtant, régulièrement, des cas isolés posent problème. Que ce soit en milieu carcéral ou dans le domaine de l’asile, des pratiques font l’objet de critiques. En cause notamment, certaines formes de détention à l’isolement, des problèmes induits par la surpopulation carcérale, les pratiques d’entravement lors des vols spéciaux ou la durée d’incarcération qui précède les renvois de requérant·e·s d’asile. Ces pratiques portent parfois atteinte aux droits de ceux qui les subissent, sans pourtant toujours constituer des formes avérées de mauvais traitements au sens de la Convention contre la torture. Des ONG, des instances de contrôle nationales et internationales, même le Tribunal fédéral, ont ainsi à plusieurs reprises mis le doigt sur les traitements infligés aux requérant·e·s débouté·e·s ou aux détenu·e·s.
«Dans les prisons, les normes ne sont pas toujours respectées, que ce soit pour l’espace vital pour les détenus, la durée de la promenade – les heures passées en cellule sont trop longues –, l’accès aux soins ou à l’hygiène, ou la possibilité – trop limitée – de travailler. Lors des renvois forcés, ce sont les entraves excessives, dangereuses et aux conséquences potentiellement dramatiques qui ont soulevé des critiques», déclare Daniel Bolomey membre de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Depuis quatre ans, cette commission, élue par le Conseil fédéral, veille au respect de la Convention contre la torture (CAT) des Nations unies et de son protocole facultatif (OPCAT). Elle visite les lieux de détention, émet des recommandations et effectue un suivi pour voir si ces dernières sont mises en œuvre.
A l’ombre pendant des années
En Suisse, six établissements disposent de quartiers de haute sécurité. Une forme de prison dans la prison. Des prisonniers jugés dangereux pour eux-mêmes, pour leurs codétenus ou pour la société y sont maintenus à l’isolement, parfois pendant des années. En 2013, ils étaient trente-cinq, selon les chiffres publiés dans le rapport annuel de la CNPT. Dans la prison genevoise de Champ-Dollon, ils sont actuellement six, dont un depuis plus de six mois, selon le directeur adjoint de l’établissement, Fabrizio Bervini. Ce régime de détention, extrêmement dur, présente des risques importants pour la santé des personnes qui y sont soumises. «Les détenus peuvent être enfermés vingt-deux à vingt-trois heures sur vingt-quatre et ne pas avoir droit aux visites. Ils ne voient souvent que les gardiens qui les accompagnent pour la promenade», indique Daniel Bolomey. La détention à l’isolement, surtout si elle dure, compromet sérieusement leur réinsertion.
Le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture observe, dans un rapport présenté devant l’ONU, que «plus longue sera la durée de l’isolement cellulaire, ou plus grande l’incertitude quant à cette durée, plus le risque sera élevé que la sanction ait sur le détenu des conséquences graves et irréparables, relevant de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, voire de la torture». Selon Patrick Walder, coordinateur de la campagne contre la torture chez Amnesty International Suisse, «une détention à l'isolement de plus de six mois peut être considérée comme de la torture».
Comment décider de la durée de ces mesures? Pour Daniel Bolomey, la question de la proportionnalité est centrale. Selon lui, il faudrait pouvoir se baser sur un règlement, connu des détenus, qui fixe les peines d’isolement. Et appliquer le même dans tous les pénitenciers du pays.
Internement ou traitement?
Par manque de place, des personnes souffrant de troubles psychiques sont détenues dans des établissements d’exécution des peines. Daniel Bolomey souligne: «On ne distingue pas assez les personnes qui doivent être enfermées de celles qui doivent être traitées. Il y a un important déficit de places dans les établissements spécialisés en Suisse.» Pour Denise Graf, responsable des domaines asile et migration auprès d’Amnesty, «on leur donne de moins en moins de chances de guérir».
Denise Graf regrette aussi que l’établissement Curabilis à Genève – réservé en principe aux détenus qui présentent des problèmes psychiques – soit obligé d’accueillir des détenu·e·s ordinaires pour désengorger Champ-Dollon, la prison voisine. Fabrizio Bervini confirme: «Il y a actuellement une dizaine de femmes en exécution de peine qui y séjournent.»
Un entassement source de tensions
Selon Daniel Bolomey, «la surpopulation carcérale conduit à des traitements inacceptables, au regard des standards minimum en matière de conditions de détention». En mars, le Tribunal fédéral a reconnu que, dans le cas particulier d’un homme en détention provisoire, les conditions dans la prison genevoise de Champ-Dollon n’avaient pas rempli ces standards, notamment ceux fixés par la Cour européenne des droits de l’homme. En cause, la surface de la cellule par détenu. «Champ-Dollon compte aujourd’hui huit cent soixante-sept détenus pour une capacité de trois cent quatre-vingts-sept places de détention. Il est inévitable qu’une surpopulation carcérale élevée entre en contradiction avec le respect des droits fondamentaux», déclare Fabrizio Bervini. La direction compte sur «le professionnalisme des collaborateurs, principale ressource pour faire face à une situation objectivement très difficile». Et à l’avenir ? Selon le directeur adjoint, la nouvelle annexe de la Brenaz 2 offrira cent places supplémentaires dès 2015, auxquelles s’ajouteront treize places à Champ-Dollon et les nonante-deux que compte Curabilis. Soit deux cent cinq places d’ici à un an, alors qu’il en manque quatre cent quatre-vingts aujourd’hui.
Des « vols spéciaux » moins violents
Les renvois sous contrainte ont beaucoup occupé la CNPT les années précédentes. Depuis deux ans, des observateurs mandatés par la commission sont à bord des vols spéciaux qui ramènent les requérant·e·s d’asile débouté·e·s. «Nous sommes heureux de constater une amélioration certaine du traitement que subissent les passagers de ces vols. Malgré la dureté de certaines pratiques – il y a eu des morts par le passé – l’observation systématique de ces renvois semble porter ses fruits», déclare Daniel Bolomey. Des différences subsistent entre les cantons mais la tendance générale est à l’amélioration des conditions. «La Suisse reste un pays rigoureux, poursuit-il, les personnes frappées par ces renvois sont pourtant loin d’être toutes des criminel·le·s.»