En 1948, après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements du monde entier ont reconnu le caractère barbare, inhumain et indéfendable de la torture en adoptant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce texte a consacré le droit de chaque être humain de ne pas subir la torture. Ce droit a par la suite été reconnu dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, juridiquement contraignant, qui contient une interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements. Enfin, il y a trente ans, cette avancée a été confortée par l’adoption par les Nations unies de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention contre la torture). Ce texte propose des mesures inscrites dans la loi pour empêcher la torture, en punir les auteurs et garantir justice et réparation aux victimes. Il prévoit de lutter contre la torture et autres mauvais traitements à l’intérieur des frontières de chaque pays, de garantir que nul ne soit expulsé dans un pays où il risque d’être torturé et de faire en sorte qu’il n’y ait pas de refuge possible pour les tortionnaires.
La Déclaration universelle des droits de l’homme, a consacré le droit de chaque être humain de ne pas subir la torture.
La Convention contre la torture compte aujourd’hui cent cinquante-cinq Etats parties. Mais nombreux sont les gouvernements qui ne respectent pas leurs obligations. Au cours des cinq dernières années, Amnesty International a documenté des cas de torture et de mauvais traitements dans cent quarante et un pays. La plupart des Etats sont concernés par la torture, même si c’est dans des proportions variables. Elle est pratiquée sur tous les continents et dans différents types d’Etats. «Il existe des facteurs économiques, politiques et sociétaux qui contribuent à ce que la torture soit plus ou moins tolérée, ou au contraire bannie, dans une société donnée», explique Jean-Sébastien Blanc, conseiller en matière de détention à l’Association pour la prévention de la torture (APT). «Ces facteurs incluent le type de régime politique en vigueur, la solidité des institutions démocratiques, l’indépendance des pouvoirs, le fonctionnement de la justice, l’éducation, la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, etc. Mais la seule existence d’un Etat démocratique ne garantit pas l’absence de torture, c’est la combinaison des facteurs qui va amplifier ou au contraire diminuer les risques d’actes de torture et de mauvais traitements.»
11 septembre: un tournant
Les attentats du 11 septembre 2001 et la «guerre contre le terrorisme» menée depuis lors représentent un tournant dans la perception et le degré d’acceptabilité de la torture. «En recourant à des méthodes de torture telles que le simulacre de noyade (waterboarding) et avec la mise en service de Guantánamo, les Etats-Unis ont beaucoup contribué à la légitimation de cette pratique. Les Etats européens se sont montrés complices en participant aux programmes de ‘restitutions’ illégales et de détentions secrètes menés par l’Agence centrale du renseignement (CIA)», affirme Patrick Walder, responsable de la campagne contre la torture à la Section suisse d’Amnesty International. Ces programmes se sont traduits par des disparitions forcées, des actes de torture et des mauvais traitements infligés à un certain nombre de personnes. «D’autres Etats ont ensuite pu utiliser ces pratiques comme prétexte pour eux-mêmes recourir à la torture.» «Tout à coup, certaines situations extrêmes semblaient remettre en question le caractère absolu de la prohibition de la torture, analyse quant à lui Jean-Sébastien Blanc. C’est ce qu’on appelle la théorie du ‘scénario de la bombe à retardement’, qui suppose que l’auteur d’une attaque terroriste imminente ne divulguera les informations permettant de l’éviter que s’il est torturé. Non seulement cette théorie est erronée (la torture n’est pas un moyen efficace et fiable d’obtenir des informations), mais elle ouvre une boîte de Pandore, qui sape les fondements mêmes de nos droits fondamentaux.» Les médias, les séries télévisées et les grandes productions hollywoodiennes contribuent d’ailleurs à banaliser la pratique de la torture. «Un bon exemple de cela est la sortie, l’année dernière, du film Zero Dark Thirty. L’histoire, tirée d’événements réels (la traque d’Oussama Ben Laden), a pu laisser aux spectateurs l’impression que la torture est efficace, voire nécessaire, pour préserver la sécurité nationale.»
Les mesures contre-terroristes se multiplieront à l’avenir. Dans ce contexte, le risque que les Etats recourent à la torture ou la considèrent comme légitime est patent. Pour Jean-Sébastien Blanc, «il est capital de lutter contre l’impunité liée aux activités des services de renseignements œuvrant contre le terrorisme. Il faut poursuivre les agents recourant à la torture et aux mauvais traitements et toute information obtenue sous la contrainte doit être formellement refusée par les tribunaux». Des mesures ont été prises dans ce sens depuis la médiatisation des programmes de «restitutions» illégales de la CIA. «Certains pays, comme le Canada ou le Royaume-Uni, ont publié des directives à l’intention de leurs agents, dans le but d’éviter des allégations de complicité dans des actes de torture commis sur un territoire tiers, dans le cadre de leur coopération avec des agences de renseignements étrangers.»
La Convention contre la torture, propose des
mesures inscrites dans la loi pour empêcher
la torture.
La pauvreté: un facteur ignoré
A côté de la lutte contre le terrorisme, un terreau aussi fertile qu’ignoré de la torture à travers le monde est la pauvreté. Comme le révèlent des chiffres publiés par Amnesty International, plus de personnes sont torturées à mort en un mois en Inde qu’en dix ans de lutte contre le terrorisme aux Etats-Unis. «L’écrasante majorité des victimes de torture ne sont pas des terroristes supposés, mais des personnes simples et pauvres soupçonnées de crimes. Elles sont souvent arrêtées de manière arbitraire dans le cadre d’opérations de routine», constate Patrick Walder. «Dans beaucoup d’Etats, la torture est le moyen le plus efficace pour obtenir des aveux et démontrer des succès rapides lors d’opérations de maintien de la sécurité. Au lieu d’utiliser des méthodes d’enquête professionnelles, la police et les forces de sécurité ont recours à la violence aveugle. Elles trouvent toujours un coupable avec la torture.» «Même si des régimes autrefois totalitaires se sont démocratisés, la réalité socio-économique n’a pas forcément accompagné cette transition vers la démocratie. Les revendications en faveur de la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels se voient souvent opposées à la répression policière, précise Jean-Sébastien Blanc. Les populations les plus déshéritées sont plus vulnérables et plus exposées au risque d’être torturées à cause de la place qu’elles occupent dans la société.» Les victimes de la torture pauvres et socialement défavorisées ou discriminées ont encore moins de chances de faire valoir leurs droits que d’autres. «Leurs cas sont moins médiatisés, elles ont plus difficilement accès à des avocats. Il est donc crucial d’orienter l’attention sur cette problématique et de pousser les Etats à protéger toutes les personnes contre la torture, y compris et surtout les pauvres», affirme Patrick Walder.
Le combat d’Amnesty
Amnesty International s’engage depuis plus de cinquante ans contre la torture. La lutte contre cette pratique a forgé l’identité de l’organisation. Elle a mené des campagnes mondiales contre la torture en 1973, 1984 et 2000. La campagne de 1984 se concentrait sur l’adoption de la Convention des Nations unies contre la torture. En 2000, la campagne portait sur trois angles déterminants, à savoir la prévention, la discrimination et l’impunité. Aujourd’hui, trente ans après l’adoption de la Convention des Nations unies contre la torture, Amnesty a lancé la quatrième campagne mondiale contre la torture. Elle appelle les gouvernements à honorer leurs promesses et à prendre des mesures concrètes pour prévenir cette pratique.