par Jean-Marie Banderet
Devant l’innommable –tuer pour faire taire les voix «discordantes»–, la réponse de la justice française est, elle aussi, inquiétante. A force de vouloir montrer que le terrorisme ne peut rester impuni, elle prend le risque de déraper dans le tout sécuritaire. Car ce sont bien la liberté d’expression, ainsi que la protection de la sphère privée, qui sont aujourd’hui mises en péril par la frénésie judiciaire française.
Deux semaines après les attentats à Paris, cent dix-sept procédures pour «apologie du terrorisme» étaient en cours, selon le Ministère français de la justice. Soit un peu moins de la moitié des procédures pénales ouvertes dans l'Hexagone depuis le 7 janvier. Quarante-quatre personnes avaient été jugées le 21 janvier, dont la moitié en comparution immédiate, et condamnées. De nombreuses voix, dont celle d’Amnesty, se sont élevées pour critiquer une justice d’exception, expéditive, et qui prononce des peines trop lourdes.
La réaction épidermique d’un pays choqué par la violence de ces attaques ne suffit pas à expliquer la rapidité avec laquelle le troisième pouvoir s’est mis à chasser les islamistes. La loi contre le terrorisme de novembre 2014 a en effet intégré dans le Code pénal la «provocation» ou «l’apologie» d’un acte terroriste, auparavant inscrites dans la loi sur la liberté de la presse. Une personne reconnue coupable d’un de ces chefs d’accusation encourt une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et jusqu’à quarante-cinq mille euros d’amende; ou sept ans et cent mille euros si l’infraction est commise sur «un service de communication au public en ligne», autrement dit sur un site internet ou sur les réseaux sociaux.
Le lendemain de l’attaque contre l’hebdomadaire satirique, Le Monde titrait «Le 11-Septembre français ». Or l’attentat contre le World Trade Center a engendré le Patriot Act, la loi antiterroriste signée par George W. Bush au nom de laquelle les Etats-Unis guerroient depuis plus d’une décennie. La France doit appliquer la nouvelle loi antiterroriste en évitant l’écueil d’une guerre absolue contre les djihadistes, qu’ils soient avérés ou supposés. Elle doit veiller à respecter les droits fondamentaux menacés par les nouvelles mesures législatives. Des droits inscrits dans sa Constitution.