Par Yanik Sansonnens, journaliste indépendant
La chaleur écrase les passagers du bus, mais devient supportable lorsque la brise se lève et balaie la piste poussiéreuse. Nous sommes dans le département de Cauca, dans le sud de la Colombie, là où l’exploitation minière tient une place de premier choix. La majorité de la population locale est afrodescendante, tout comme la plupart des mineurs colombiens. Ici, comme ailleurs en Colombie, ceux-ci ont la vie dure. Nombre d’entre eux souffrent de contamination au mercure, et les cas de décès liés aux explosions sont légion.
Le recours au travail sur appel est fréquent, les bas salaires représentent la norme –quand ils ne sont pas indexés sur la quantité de minerai extraite quotidiennement– et il est commun pour les mineurs de s’activer douze heures par jour. Les prestations sociales sont minimes, voire inexistantes. Régulièrement, des habitant·e·s sont exproprié·e·s, tandis que les syndicalistes subissent des violences ou sont assassiné·e·s. A cela s’ajoutent des atteintes graves à l’environnement telles que des destructions de réserves protégées, ainsi que des pollutions de l’air, de la terre et des cours d’eau. C’est le tableau peu reluisant dressé par des ONG, des centres d’études, des journalistes et des représentant·e·s des syndicats.
Dans la petite ville de Buenos Aires, nous rencontrons Héctor Carabali, un leader syndicaliste à l’esprit très vif. L’année dernière, cinq membres de sa famille ont péri dans l’explosion d’une mine. «Les travailleurs qui s’organisent en syndicats pour défendre leurs droits et obtenir de meilleures conditions de travail sont menacés, battus et parfois tués par les forces paramilitaires et les narcotrafiquants. Ces derniers entretiennent des liens étroits avec les multinationales qui les rémunèrent pour garantir la surveillance des mines et réprimer toute contestation. Le gouvernement a sa part de responsabilité en fermant les yeux sur de pareils agissements», s’indigne-t-il. Il arrive aussi que les différents groupes armés présents dans le pays investissent directement dans l’exploitation minière, afin de blanchir l’argent provenant de la drogue.
Liens mafieux
La section colombienne de l’ONG Peace brigades international (PBI) enquête depuis longtemps sur l’extraction minière. Dans un rapport édifiant, l’organisation affirme que «le secteur minéro-énergétique concentre à lui seul septante-huit pour cent des crimes commis contre les syndicalistes colombiens et que quatre-vingts pour cent des violations des droits humains ont été perpétrées dans les départements où prédomine l’activité minière». Le rapport indique également que «quatre-vingt-sept pour cent des personnes déplacées proviennent de ces mêmes départements».
Nous avons contacté plusieurs multinationales actives en Colombie et dont les procédés sont dénoncés par les syndicats, des ONG et quelques médias. Seule la compagnie sud-africaine AngloGold Ashanti nous a répondu par le biais de sa déléguée à la communication, Margarita Arango. «Nous ne possédons pas de licence pour exploiter des sites miniers dans le pays. A l’heure actuelle, AngloGold Ashanti se contente d’explorer différentes pistes», affirme-t-elle. A l’évocation de ces propos, le syndicaliste Héctor Carabali rit jaune: «Cette entreprise opère masquée en Colombie, puisqu’elle a créé des sociétés avec des noms locaux afin de se ‘colombianiser’… Mais ce n’est qu’une façade. Cette multinationale tire les ficelles et engendre les bénéfices de l’activité minière de ses sociétés.»
A Bogotá, la capitale, nous faisons la connaissance de David Flores, le porte-parole de Marcha Patriótica (marche patriotique), un parti politique de l’opposition. Ce dernier ne mâche pas ses mots à propos des grandes compagnies minières et attaque frontalement AngloGold Ashanti. «La plupart d’entre elles ont un parfait mépris pour les lois nationales et pour les travailleurs qu’elles embauchent. Concernant AngloGold Ashanti, de forts soupçons pèsent sur elle suite au meurtre de deux opposants à un grand projet d’extraction minière à proximité de Marmato, dans le département de Caldas, au centre du pays. Beaucoup d’indices tendent à démontrer que cette multinationale aurait commandité le meurtre, mais nous n’en savons pas davantage pour le moment», explique-t-il.
Impunité achetée
Quant au gouvernement colombien, il est régulièrement accusé de complaisance. En somme, d’être parfaitement au courant de ce qui se passe, mais de ne jamais intervenir à l’encontre des multinationales. Mónica Marín, porte-parole du Ministère des mines et de l’énergie, déclare: «Nous collaborons activement avec le Ministère public en vue de punir les entorses à la loi. A cet égard, nous avons renforcé la présence d’inspecteurs sur le terrain afin de débusquer les mines illégales, ainsi que les préjudices environnementaux. Au sujet des normes de sécurité, elles sont nettement plus strictes que par le passé, tout comme les exigences requises pour obtenir une licence d’exploitation sont plus élevées.» A en croire Mónica Marín, les conditions de travail se sont globalement améliorées ces dernières années.
Dans les bureaux de Marcha Patriótica, David Flores est amer. Selon lui, les pots-de-vin sont monnaie courante dans le milieu: «C’est un secret de Polichinelle. Il est usuel pour les compagnies minières de corrompre des fonctionnaires, dans le but de se voir octroyer des licences d’exploitation dans des parcs naturels protégés où il est, en principe, interdit d’exercer ce type d’activité», dit-il. Dans une tribune publiée dans le magazine Semana, le chroniqueur Uriel Ortiz Soto peste contre l’attitude du pouvoir colombien. «Quelle disgrâce pour notre pays; à savoir que les mines artisanales ne seront bientôt plus qu’un souvenir. L’activité minière artisanale existe depuis des lustres en Colombie mais tend à disparaître face au refus systématique des autorités d’accorder des licences aux petits travailleurs indépendants, qui sont sans cesse criminalisés et persécutés. En revanche, on n’hésite pas à dérouler le tapis rouge aux barons de l’industrie minière», s’offusque-t-il.
En plus de la contamination récurrente de l’environnement, des habitant·e·s de certaines régions se voient privé·e·s d’accès à l’eau, comme ce fut le cas dans le département de Guajira au nord. Un consortium minier, composé notamment de Glencore-Xstrata, BHP Billiton et Anglo American, a requis la déviation du lit de la rivière Ranchería auprès des autorités colombiennes. En échange de la source d’eau, la population s’est vu offrir un terrain de sport. Cet exemple, un parmi d’autres, a fait dire au chroniqueur Uriel Ortiz Soto: «On attribue de précieuses ressources naturelles à une horde de mafieux sans considération pour la planète, la dignité humaine et la santé des personnes.»
Catastrophe sanitaire
La multinationale Glencore-Xstrata basée en Suisse, troisième producteur de charbon en Colombie, est à l’origine d’une terrible crise sanitaire dans le département de Cesar, dans le nord du pays. Il y a deux ans et demi, les travailleurs de la mine de La Jagua, une des exploitations à ciel ouvert les plus importantes au monde, se sont plaints de la contamination de l’air, de la terre et des cours d’eau de leur région. Plus de mille personnes auraient été touchées par des problèmes allant du cancer de la peau à la teigne, en passant par la silicose, les troubles du sommeil, les pertes auditives et les hernies discales.
Les premiers cas ont été enregistrés dans les années quatre-vingts et la courbe n’a fait que croître jusqu’à ce scandale. Un médecin local estime que sur les vingt et un mille âmes peuplant les alentours de l’exploitation, entre septante et quatre-vingts pour cent sont victimes de problèmes respiratoires et pulmonaires. En février 2014, la filiale de Glencore-Xstrata et la compagnie américaine Drummond sont parvenues à un accord avec plus de cent familles, en vue d’un relogement. Une mesure à un million et demi de dollars.