En Irlande, les médecins doivent attendre que la vie dela femme soit en danger pour procéder à une interruption de grossesse. | © AI Eugene Langan.
En Irlande, les médecins doivent attendre que la vie dela femme soit en danger pour procéder à une interruption de grossesse. | © AI Eugene Langan.

MAGAZINE AMNESTY Actuel Irlande: rien n’a changé

Par Nadia Boehlen. Article paru dans le magazine AMNESTY, n°82, publié par la Section suisse d’Amnesty International, août 2015.
Je terminais récemment le premier roman d’Henning Mankell, Daisy’s Sister. Eté 1941, en Suède. Deux amies, Elna et Vivi, 17 ans, de condition modeste, s’offrent une escapade à bicyclette à travers la Suède en longeant la frontière de la Norvège occupée par les nazis. Elna, violée, revient chez elle enceinte.

Avec une formidable empathie, l’écrivain suédois décrit l’opprobre social et familial, et les risques mortels encourus par la jeune fille pour tenter de se faire avorter de manière clandestine. «Pourvu qu’il n’y ait pas de complications ! Il peut y avoir des infections et des abcès. La mort guette toujours derrière la porte quand il est question d’avortement clandestin. Si un seul des hommes haut placés, un politicien, un pasteur, un tambour-major, peu importe, si un seul d’entre eux se trouvait allongé sur une table crasseuse, les jambes écartées, et qu’un ivrogne aux mains tremblantes essayait d’introduire une sonde sale… Si un seul de ces hommes vivait ça, les choses seraient différentes. Qu’une femme accouche dans la douleur, soit, mais qu’elle meure ou qu’elle pourrisse de l’intérieur parce qu’un type minable a été infoutu de se retenir ou de se retirer à temps ! C’est pourtant ça, les conséquences de la loi sur l’avortement ».

Plus d’un demi-siècle plus tard, en Irlande, rien n’a changé ou presque. La Loi irlandaise sur l’avortement est l’une des plus restrictives au monde. Elle n’autorise l’interruption de grossesse que lorsque la vie de la mère est en danger. L’Irlande interdit même l’avortement en cas de viol, de malformation grave ou mortelle du fœtus ou de risque pour la santé de la femme, en violation du droit international. Les Irlandaises risquent quatorze ans de prison si elles avortent clandestinement dans leur pays, avec les dangers que cela implique, tout comme le personnel soignant qui les aiderait à pratiquer cette opération. Les femmes qui doivent interrompre une grossesse sont traitées comme des criminelles, stigmatisées socialement et contraintes de se rendre à l’étranger, avec de lourdes conséquences sur leur santé mentale et physique.

Dans un récent rapport, Amnesty International a recueilli leurs témoignages édifiants. Certaines d’entre elles ont été contraintes de porter leur fœtus mort pendant plusieurs semaines avec les risques d’infections que cela engendre, parce que les médecins voulaient avoir la certitude qu’il était mort avant d’opérer. En Irlande, la protection de la vie durant la grossesse s’applique davantage à un fœtus même inviable qu’à la mère !

Le récent référendum sur le mariage pour tous a donné de l’Irlande l’image d’un pays ouvert et progressiste. Mais l’interdiction faite aux femmes d’accéder à un avortement sûr et légal contredit complètement cette image. Pour reprendre les propos d’Henning Mankell, il faudrait peut-être qu’un ou une des partisan·e·s haut placé·e·s de cette législation rétrograde, dont on ne comprend pas qu’elle soit encore en vigueur en Europe, risque sa santé et même sa vie parce qu’il doit avorter, pour que les choses changent.