Même si la législation qui prévoit des sanctions pénales contre l’homosexualité n’est pas toujours appliquée, son existence dans trente-cinq pays d’Afrique nourrit les pratiques abusives. © AI
Même si la législation qui prévoit des sanctions pénales contre l’homosexualité n’est pas toujours appliquée, son existence dans trente-cinq pays d’Afrique nourrit les pratiques abusives. © AI

MAGAZINE AMNESTY LGBTI «Le mariage ou la mort»

Propos recueillis par Nadia Boehlen. Article paru dans le magazine AMNESTY, n°82, publié par la Section suisse d’Amnesty International, août 2015.
L’homosexualité, souvent qualifiée de «relations charnelles contre nature», est actuellement une infraction pénale dans trente-cinq pays d’Afrique. En conséquence, les agressions et les persécutions homophobes y sont courantes. Rencontre avec deux réfugié·e·s, l’une sénégalaise, l’autre camerounais, qui racontent leur vécu de l’homophobie en Afrique.

«Depuis toute petite, je me sentais différente de ma famille. Je ne comprenais rien, pour moi j’étais malade. Je mettais du sang et du sel sur moi contre la maladie. Le Sénégal est un pays qui ne tolère pas l’homosexualité. On peut être condamné à cinq ans d’emprisonnement ou à payer une amende. On joue tout le temps à cache-cache avec la population. Arbitrairement, des gens risquent de vous désigner comme homosexuel. Et tout de suite, la police peut débarquer chez vous et vous amener en prison. Et en prison, c’est votre fête ! Les policiers seront tellement heureux de dire : «Ah tiens ! Il est homosexuel » Ils vont vous tabasser… Au bout d’une semaine, la personne disparaît ; on ne sait pas si elle est morte, on n’en parle pas. On dit que c’est une punition, moi je dis que c’est une peine de mort. Parce que l’homosexuel qui entre en prison au Sénégal est mort». Ces propos, c’est Anta, une jeune réfugiée sénégalaise de 33 ans au sourire contagieux qui les tient. Elle a fui sa ville de Saint-Louis suite aux violences que lui a infligées son père parce qu’elle refusait de se marier avec un homme choisi par lui, et qu’elle manifestait son attirance pour les femmes.

Une fois, à l’âge de 8 ans, j’en ai parlé à ma maman. «Ne dis jamais ça» ; elle a paniqué. Je lui ai demandé si c’était normal ou pas. Elle a insisté : «Il ne faut jamais dire ça.» Mon père a commencé à me soupçonner. Il disait : «Ma fille, elle va tourner, qu’est-ce qu’elle a ?» A 15 ans, il décide de me marier. J’ai demandé : «Marier, c’est quoi ?». «Il faut que tu te maries, tu as 15 ans, tu as les seins qui sortent, tu as la puberté, il faut se marier.» Lorsqu’Anta manifeste son refus, son père n’accepte pas : «Il me prend comme un objet, commence à me frapper et m’enferme dans une petite pièce. Je ne suis jamais allée voir un tatoueur, mais sur mon corps il y a tous les tatouages du monde. Il m’a brûlée, tabassée, griffée et donné des coups de ceinture parce que je refusais le mariage.»

Quelques années plus tard, le père d’Anta lui propose un nouveau mariage. Elle refuse ; les violences reprennent. Son père la bat, ses frères sont libres de faire avec elle ce qu’ils veulent. Elle doit dormir à genoux et se fait frapper dès qu’elle bouge. «Mon père vit dans une religion. Son propre père a amené la religion musulmane au Sénégal, en y construisant la première mosquée. C’était pour mon père une fierté de voir sa fille se marier, même en sachant qu’elle n’avait aucune attirance pour les hommes. Dans son village, l’homosexualité est quelque chose qui n’existe pas. Avoir une fille qui ne se comporte pas comme une Peule, qui ne met pas le foulard sur la tête, ne porte pas de petite robe, une fille qui ressemble à un garçon. Ce n’est pas la fille qu’il voulait.»

Fuir ou mourir

Anta préfère mourir plutôt que d’accepter le mariage. Pour fuir les sévices, elle quitte sa famille pour la rue. «C’est la seule chose que je pouvais faire. Je me suis retrouvée avec les enfants ‘Talibé’. Chez nous on appelle ainsi les enfants qui vivent dans la rue, qui n’ont ni mère ni père. Je dormais sur des cartons, pourtant je me sentais en sécurité. Dans la rue, je n’étais plus persécutée par mon papa, ma famille.» Au bout de quelques mois, une de ses connaissances l’accueille chez elle et l’engage comme domestique. Son père la retrouve rapidement ; il ne lui demande alors pas de rentrer, mais lui assène : «C’est le mariage ou ta mort.» Anta s’enfuit à nouveau. Elle trouve un emploi sur un bateau de croisière et échappe ainsi à sa famille. Son patron lui permet de dormir sur le bateau. Pendant deux ans et demi elle ne mettra plus les pieds sur terre. C’est de là qu’elle rejoindra l’Europe.

«La double vie»

Eric, un Camerounais de 34 ans sait raconter ; il dit sa vie avec calme, humour et détachement. Il a fui son pays après que des gens de son quartier de Douala l’aient pris sur le fait, nu avec son ami. Ils se sont fait tabasser par un groupe de plusieurs personnes. Après le passage à tabac, ils ont eu la chance d’avoir affaire à des policiers qui les ont transférés à l’hôpital. C’est de là qu’ils prendront la fuite. Eric rejoindra l’Europe.

«Ma mère est moi, on ne parle plus de ça, de l’homosexualité. Cela reste tabou dans la famille. Même lorsque j’étais au Cameroun, elle se disait que ça n’existait plus. Lorsque je me suis pacsé ici en Suisse, des Camerounais lui ont rapporté que je m’étais marié avec un homme. Je lui ai menti en lui disant : tu me crois, moi ou ces personnes ? Je ne veux pas lui parler de mon homosexualité, et la traumatiser, alors qu’elle et moi on peut parler paisiblement d’autres choses.»

«Au cours de ma vie, j’ai été forcé à avoir une copine au Cameroun avec qui j’ai fait deux enfants. C’est d’ailleurs ça qui fait que ma maman ne croit pas trop à mon homosexualité. Elle se dit : s’il est homosexuel, pourquoi il a fait des enfants ? Elle entend que deux personnes du même sexe peuvent faire l’amour, mais elle se dit que ces gens-là (les homosexuels) ne peuvent pas faire d’enfants.»

Comme le souligne Eric, dans son pays «il est fréquent que les homosexuels soient obligés de se marier. Parce qu’à 30, 35 ans, ne pas être marié, ça ne va pas. Les familles vont obliger les hommes à se marier et à jouer une double vie».


L’homosexualité punie par la loi

L’homosexualité est actuellement une infraction dans trente-cinq pays d’Afrique subsaharienne. Au Soudan, en Mauritanie, dans une partie du Nigeria et de la Somalie, l’homosexualité est même passible de la peine de mort. Des pays dont la législation prévoit des sanctions pénales ne l’appliquent pas, mais son existence fournit aux policiers et aux citoyen·ne·s l’occasion de se livrer à des pratiques abusives. Les responsables étatiques, traditionnels et religieux en Afrique ont souvent tendance à taxer les « actes homosexuels » de comportements importés de l’Occident et étrangers à la culture africaine. Mais la plupart des lois de répression des relations entre personnes de même sexe sont l'héritage de la période coloniale. Et la droite religieuse présente dans des pays occidentaux comme les Etats-Unis finance et encourage activement l’homophobie en Afrique.

En raison de la discrimination dont elles font l’objet, les personnes homosexuelles vivent généralement une double vie en Afrique : elles sont mariées et entretiennent en parallèle des relations cachées. La criminalisation de l’homosexualité et le climat de peur qu’elle crée met en péril la lutte générale contre le sida en Afrique. Amnesty a par exemple dénoncé le cas de neuf hommes arrêtés à Dakar, suite à leur participation à des ateliers de prévention du VIH et à des accusations anonymes relatives à leur vie sexuelle.