Entre 2011 et 2015, douze Etats ont instauré le mariage ou une forme de partenariat similaire pour les couples de même sexe. | © Jodi Bieber
Entre 2011 et 2015, douze Etats ont instauré le mariage ou une forme de partenariat similaire pour les couples de même sexe. | © Jodi Bieber

MAGAZINE AMNESTY LGBTI Pourquoi l’homophobie ?

Pourquoi les personnes gays et lesbiennes sont-elles discriminées ? Et pourquoi une «gay pride», la fierté d’être homosexuel·le, suscite-elle autant d’oppositions ? Parce que l’égalité entre les hommes et les femmes n’est toujours pas atteinte, pense le sociologue Andreas Langenohl.
AMNESTY: Même le pape accueille aujourd’hui les personnes gays et lesbiennes dans son église. L’homophobie est-elle toujours un problème?

Andreas Langenohl: La notion d’«homophobie» est déjà problématique à mes yeux. Car elle suggère que le rejet des minorités sexuelles est un phénomène marginal dans nos sociétés. En réalité, en ce qui concerne le partenariat, les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres n’ont que je sache nulle part au monde les mêmes droits que les hétérosexuels.

Mais dans nos contrées, il n’est au moins pratiquement plus concevable de manifester ouvertement du mépris pour les personnes homosexuelles. Est-ce à dire que tout n’est pas réglé sous le couvercle du «politiquement correct»?

Il est vrai que les choses ont réellement changé. De nombreux parents acceptent sans problème l’homosexualité de leur fils ou de leur fille et reçoivent leur petite amie ou leur petit ami à la maison. Mais on constate aussi que dans certaines régions, des couples homosexuels n’osent pas se tenir par la main dans la rue de peur d’être agressés par les passants, cela même dans des quartiers branchés réputés plus ouverts. Deux évolutions ont lieu en parallèle : d’un côté, une normalisation des partenariats entre personnes du même sexe ; de l’autre, une menace, dont je redoute qu’elle aille en augmentant lorsque l’homosexualité devient visible dans l’espace public.

Comment se fait-il que la société accepte soudain les personnes gays et lesbiennes? Autrefois, on les traitait de pervers·e·s. Aujourd’hui, nous trouvons pervers de les stigmatiser.

Il y a plusieurs raisons à cela. Depuis les années soixante, nous observons une pluralisation des formes de vie commune dans les sociétés occidentales. Les alternatives au modèle classique de la famille nucléaire hétérosexuelle se multiplient : mariages sans enfants, parents célibataires, familles recomposées, relations à distance. Cela facilite l’acceptation des partenariats entre personnes du même sexe. La politique a également joué un rôle précurseur en élargissant les droits des couples homosexuels, alors qu’une partie de la population n’y était nullement favorable. A plus long terme, cette action avant-gardiste a eu un effet éducatif sur la société.

Le mariage homosexuel continue pourtant à être violemment contesté. Pourquoi?

Car la majorité a le pouvoir d’imposer sa vision de la société qui est en jeu. Lorsque les personnes homosexuelles réclament le droit au mariage – y compris le droit d’adopter un enfant, elles remettent très fortement en question les rôles traditionnels. Selon ce modèle, les tâches sont réparties en fonction du genre : l’homme gagne l’argent de la famille et la représente à l’extérieur. La femme s’occupe du ménage et des enfants tout en soutenant son mari. Les gays et les lesbiennes montrent à la société que ces rôles bien rodés n’ont rien de naturels, qu’il s’agit au contraire d’une norme culturelle. L’homophobie découle du fait que les sexes ne sont toujours pas égaux en droit dans notre société.

La haine des personnes gays et lesbiennes serait donc le signe d’une vision particulièrement rigide du comportement attendu de la part des hommes et des femmes?

Oui, les gays et les lesbiennes sont en général détestés partout où on trouve une conception très traditionnelle de ce qu’est un homme ou une femme. Chaque fois que la masculinité et la féminité sont définies par des normes puissantes, non négociables, on est confronté à l’homophobie. Pensez au milieu du football professionnel ! L’homophobie est liée à la transgression des rôles prétendument naturels assignés au genre. Les gays et les lesbiennes passent pour des personnes qui n’assument pas leur genre. On le voit aux moqueries dont les gays sont victimes. On leur prête des traits féminins caricaturaux. L’inverse se produit pour les lesbiennes. 

Notre culture a toujours traité plus durement les hommes homosexuels. Dans certains pays africains, ils sont même exposés à des peines de prison, ce qui n’est pas le cas pour les lesbiennes.

Cela est aussi lié à l’inégalité des sexes et aux rôles distincts qui leur sont assignés. Le stéréotype véhiculé par la tradition veut que les hommes soient actifs et les femmes passives. Cela est aussi valable pour la sexualité. L’homme prend l’initiative en matière de rapports sexuels, c’est pourquoi il est considéré comme particulièrement condamnable lorsqu’il dirige cette initiative dans la «mauvaise» direction. La femme est vue comme l’objet du désir sexuel. Lorsque le désir de la femme est orienté vers une personne du même sexe, il semble moins imputable à sa subjectivité, car elle n’est de toute façon qu’une créature passive.

Il semble que plus les minorités sexuelles obtiennent de droits dans les pays occidentaux, plus elles sont menacées dans d’autres régions du monde. Qu’en est-il vraiment?

Il y a quelques exemples extrêmes qui tendent à prouver cet état de fait, dont le Nigeria ou l’Ouganda. Ces Etats pratiquent aujourd’hui une politique de discrimination qui les a amenés ces dernières années à instaurer des lois draconiennes contre tout acte homosexuel. Un autre exemple est la Russie. Les événements récents laissent penser qu’en Russie, l’homophobie est en train de devenir une idéologie d’Etat servant à différents buts – et ces buts n’ont que partiellement à voir avec les homosexuels.

C’est-à-dire ?

D’une part, l’homophobie est instrumentalisée pour se différencier de l’Occident. En Russie, il y a un lien étroit entre l’homophobie et le rejet de l’Europe. On le constate souvent dans les talk-shows de la télévision russe, mais aussi dans les articles relatant la guerre en Ukraine. Mais il y a une autre raison. En 2013, la douma a voté l’interdiction de la «propagande en faveur de relations non traditionnelles auprès des mineurs». Cette loi rend plus risqué ne serait-ce que de parler d’homosexualité en public. Elle n’est pas dirigée uniquement contre les gays et les lesbiennes, mais contre la capacité de la société à nouer des alliances en son sein. Elle empêche que des groupes sociaux – par exemple des ONG – se solidarisent avec les gays et les lesbiennes. L’homophobie est donc utilisée pour réduire encore un peu plus la marge de manœuvre de la société civile.