«C’est à juste titre que la communauté internationale s’est émue et a condamné ces actes de violence raciale contre une communauté religieuse devenue paria et privée de ses droits les plus fondamentaux». C’est par ces mots que Slimane Chikh, représentant de l’Organisation de la coopération islamique, a ouvert un panel de la vingt-neuvième session du Conseil des droits de l’homme, à Genève. Il parlait des Rohingyas. Cette minorité ethnique de confession musulmane qui compte plus d’un million d’âmes vit au Myanmar, principalement dans l’Etat d’Arakan, une subdivision administrative située sur la côte ouest du pays.
Les persécutions que subissent les Rohingyas ne sont pas récentes. En réalité, elles remontent à plus d’une cinquantaine d’années. Ancienne colonie britannique, le Myanmar a acquis son indépendance en 1948. S’ensuivra un coup d’Etat militaire en 1962. Pour affirmer une identité nationale, les dirigeants optent pour une voie malheureusement ordinaire : désigner une minorité bouc émissaire. Le dévolu s’est porté sur les Rohingyas, bien que les minorités chrétiennes aient, dans une moindre mesure, également subi les foudres du jeune sentiment nationaliste.
Identité reniée
En 1982, une loi sur la citoyenneté est promulguée par la junte militaire. Cette loi instaure un système de catégorisation des habitant·e·s du pays en citoyen·ne·s de première ou seconde zone. Elle définit également les groupes qui ne rentrent dans aucune catégorie et qui ne sont donc pas considérés comme «races nationales». Elle stipule que ne peuvent prétendre à la citoyenneté birmane que les minorités capables de prouver leur présence dans le pays avant 1823, date du début de la colonisation britannique. Considérés comme des descendant·e·s de migrant·e·s venu·e·s du Bangladesh durant la période coloniale – origine controversée et peu documentée –, les Rohingyas sont ainsi placés dans cette catégorie non nationale. Du jour au lendemain, des femmes, des hommes et des enfants sont déchu·e·s de leur nationalité.
Depuis 2012, les Rohingyas subissent une recrudescence des violations de leurs droits fondamentaux : suite à de violents affrontements interethniques, ils se sont vus retirer leur statut juridique et leurs terres ; placés dans des camps surpeuplés dans lesquels ils se trouvent toujours aujourd’hui. Leur liberté de mouvement a été drastiquement restreinte ; leur accès à l’éducation annihilé, tout comme celui à l’eau et aux soins médicaux. Désormais, il est même interdit de prononcer le terme «rohingya».
Calculs politiques
Assistons-nous à un nettoyage ethnique ou, pire, à un nouveau génocide ?
«Il y a des preuves indiscutables de nettoyage ethnique», affirme le professeur Wakar Uddin, Rohingya, directeur général de l’Arakan Rohingya Union – organisme international représentant plus de soixante organisations rohingyas.
«Dans de nombreux cas, les moyens utilisés et l’envergure des persécutions entrent parfaitement dans la définition de génocide. De nombreux experts ont décrit ces persécutions comme génocide, génocide silencieux, génocide caché, génocide à petit feu ou signes annonciateurs de génocide. Les Nations unies, quant à elles, n’hésitent pas à définir la minorité rohingya comme l’une des plus persécutées au monde.
Des moines bouddhistes ultranationalistes contribuent grandement à attiser l’hostilité des populations locales envers la minorité musulmane. Ils la présentent comme une menace pour la «race birmane» et la religion bouddhiste dans des discours incitant à la haine raciale. Ce discours fait partie d’un jeu politique où le nationalisme religieux est un instrument aux mains du gouvernement. «Aujourd’hui, tant le gouvernement que l’opposition alimentent ces discriminations afin de cimenter un soutien électoral. Tous les opposants au pouvoir recourent à des slogans anti-Musulmans et anti-Rohingyas dans le but d’obtenir des voix», explique Wakar Uddin. Au vu des élections prochaines qui se tiendront le 8 novembre 2015, il est très risqué d’aborder ce sujet. «Même les bouddhistes modérés estiment qu’il serait suicidaire de prendre position en faveur des Rohingyas». Les récentes condamnations de militants bouddhistes à de longues peines d’emprisonnement sont un avertissement des plus clairs.
Crise des boat people
Face à ces conditions insoutenables, de nombreuses personnes affrontent les dangers des voies maritimes pour saisir une maigre chance d’améliorer leur existence. Mais depuis début 2015, les autorités thaïlandaises, malaisiennes et indonésiennes ont empêché les bateaux de réfugié·e·s rohingyas d’amarrer sur leurs côtes, condamnant ainsi leurs occupant·e·s à errer en mer. Selon l’UNHCR, cent mille réfugié·e·s ont embarqué depuis juin 2012.
Mais les dangers ne s’arrêtent pas aux renvois. Les personnes qui parviennent à atteindre le sol d’un pays voisin sont des proies faciles. Elles sont livrées, soit par les passeurs, soit par les autorités locales corrompues, à des réseaux de prostitution et de traite humaine. «La question des Rohingyas n’est plus un problème local. Elle est devenue globale par le problème du trafic des êtres humains», relève Wakar Uddin.
Quel avenir?
Imposition du statut d’étrangers dans leur propre pays, identité ethnique reniée, violences et discriminations : «Il y a une logique de l’extermination, et elle commence par les mots. Le gouvernement affirme que les «Rohingyas» n’existent pas en interdisant ce terme», martèle Slimane Chikh pour conclure le panel du Conseil des droits de l’homme. Wakar Uddin le rejoint en assurant que si la situation ne change pas, les Rohingyas seront voués à disparaître. Sensible aux pressions internationales, le Myanmar aurait tout à gagner à régler au plus vite la question de ses minorités religieuses et ethniques dans le cadre de sa transition démocratique.
Selon le directeur général de l’Arakan Rohingya Union, un des premiers pas vers cette évolution serait de rendre leur citoyenneté aux Rohingyas. Malgré la situation alarmante de cette minorité, Wakar Uddin croit en un avenir possible pour son peuple au Myanmar : «Le peuple rohingya peut contribuer de façon importante au développement du pays durant cette transition démocratique et au-delà. Nous savons que la lumière est au bout du tunnel, mais nous devons travailler dur avec l’aide de la communauté internationale.»