Plus de quatre-vingts pour cent des personnes déplacées dans le monde se trouvent dans des pays en développement.© Christopher Furlong/Getty Images
Plus de quatre-vingts pour cent des personnes déplacées dans le monde se trouvent dans des pays en développement. © Christopher Furlong/Getty Images

MAGAZINE AMNESTY Réfugié·e·s en Suisse « Afflux » : un terme erroné

Par Nadia Boehlen - Article paru dans le magazine AMNESTY n°83, novembre 2015.
Les discours de certain·e·s élu·e·s et les images véhiculées par les médias suite aux drames et violences qui, avec une régularité effrayante, coûtent la vie aux réfugié·e·s et aux migrant·e·s, suggèrent que l’Europe et la Suisse seraient submergées par un afflux massif de personnes. L’analyse des chiffres montre que ce discours est erroné. Par Nadia Boehlen

Certes, un nombre plus important de personnes ont demandé l’asile en Europe et en Suisse ces deux dernières années. Selon les chiffres du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), au niveau européen, elles étaient 600 000 en 2014 et plus de 400 000 pendant les six premiers mois de 2015. En Suisse, 23 765 personnes ont demandé l’asile en 2014 et 15 769 durant les sept premiers mois de l’année, soit 2580 de plus qu’au cours de la même période de l’année précédente, ce qui représente une hausse de vingt pour cent. Les autorités tablent sur 29 000 demandes d’asile pour 2015.

Comparés à ce qui passe dans le monde, ou dans une perspective historique, ces chiffres restent modestes. Selon les chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), soixante millions de personnes sont actuellement déplacées de force dans le monde. Plus de huitante pour cent d’entre elles se trouvent dans des pays en développement. Le conflit en Syrie est à ce jour le théâtre du plus grand drame des réfugié·e·s. Or, d’après des chiffres publiés par Amnesty International, nonante-cinq pour cent des Syrien·ne·s qui ont fui ce pays se sont rendu·e·s dans les pays voisins. On compte plus de quatre millions de Syrien·ne·s en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Egypte.

Durant les guerres balkaniques, la Suisse et l’Europe ont accueilli bien plus de réfugié·e·s qu’à l’heure actuelle. D’après Eurostat, en 1992, 670 000 demandes d’asile avaient été déposées dans une Union européenne (UE) alors constituée de quinze membres, contre les 626 000 de 2014 dans une UE à vingt-huit membres. Selon l’Office fédéral de la statistique, en Suisse plus de 40 000 personnes avaient déposé des demandes d’asile en 1991, 1998 et 1999, avec un record de 47 500 personnes pour 1999. Or, comme le souligne Robin Stünzi, chercheur au Centre des migrations de l’Université de Neuchâtel, «la majorité des pays européens reconnaissent aujourd’hui les bénéfices que les réfugiés accueillis dans les années nonante ont apporté à leur société» (voir à ce sujet l’enquête sur les réfugié·e·s de Bosnie-Herzégovine en Suisse aux pages 18 et 19). D’ailleurs, «les migrants arrivés par le passé bénéficient d’un discours positif qui montre leur apport, contrairement aux flux contemporains, qui sont perçus de manière très négative», précise le chercheur.

D’après Migrants’ File, une base de données formée par des journalistes et des spécialistes en statistiques et développement de logiciels, depuis 2000, les vingt-huit membres actuels de l’UE ont dépensé treize milliards d’euros dans des dispositifs visant à interdire l’accès aux réfugié·e·s sur leur territoire. «Ces investissements sécuritaires devraient de toute urgence céder la place à des mesures humanitaires», souligne Cyrielle Huguenot, coordinatrice pour les questions migratoires à la Section suisse d’Amnesty International. «Les pays européens et la Suisse doivent garantir un accès sûr et légal à leur territoire par le biais de visas humanitaires en permettant les demandes d’asile dans les ambassades. Il faut aussi offrir des possibilités supplémentaires de réinstallation aux personnes vulnérables identifiées par le HCR et faciliter le regroupement familial. Une autre mesure urgente est de créer un système centralisé pour garantir des conditions d’accueil satisfaisantes et un accès à une procédure d’asile efficace dans les pays situés aux portes d’entrée de l’Europe.» explique l’experte.

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La Suisse par rapport à l’Europe

Avec 3 demandes pour 1000 habitant·e·s, la Suisse accueille davantage de requérant·e·s d’asile que la moyenne des pays européens. Seules la Suède, l’Autriche et la Hongrie affichent un taux plus élevé, avec respectivement 8,4, 3,4, et 3,1 requérant·e·s pour 1000 habitant·e·s, tandis que la moyenne européenne se situe à 1,14 requérant·e pour 1000 habitant·e·s. (Chiffres du Secrétariat d’Etat aux migrations pour 2014).

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Les Syrien·ne·s dans le monde

Au total, 104 410 places d’accueil ont été offertes au niveau mondial depuis le début de la guerre en Syrie, ce qui ne représente que 2,6 pour cent de la population totale des réfugié·e·s syrien·ne·s en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Egypte.

  • Les pays du Golfe, dont le Qatar, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn, ont offert zéro place d’accueil pour les réfugié·e·s syrien·ne·s.
  • D’autres pays à hauts revenus tels que la Russie, le Japon, Singapour et la Corée du Sud n’ont offert aucune place d’accueil.
  • L’Allemagne s’est engagée à offrir 35 000 places aux réfugié·e·s syrien·ne·s par le biais de son programme d’admission humanitaire et de parrainages individuels, ce qui représente 75 pour cent du total pour l’Union européenne (UE).
  • L’Allemagne et la Suède ont à elles deux reçu 47 pour cent des demandes d’asile de Syrien·ne·s en UE entre avril 2011 et juillet 2015.

Chiffres publiés par Amnesty International le 7 septembre 2015.