Au moins 307 personnes, dont des enfants, ont été tués par des policiers à Rio de Janeiro l'an dernier. De tels homicides font rarement l'objet d'enquêtes. © Bright Interactive
Au moins 307 personnes, dont des enfants, ont été tués par des policiers à Rio de Janeiro l'an dernier. De tels homicides font rarement l'objet d'enquêtes. © Bright Interactive

MAGAZINE AMNESTY Sports et droits humains La face sombre de Rio

Par Jean-Jacques Fontaines - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 85, Juin 2016
Violence meurtrière et expulsions forcées sont les violations des droits humains les plus préoccupantes à Rio de Janeiro, ville hôte des prochains Jeux Olympiques d’été. Analyse.

Évoquer les droits humains au Brésil, c’est soulever la question du droit à l’existence. Les pouvoirs publics, en effet, respectent plutôt bien les libertés, mais la violence endémique qui sévit dans le pays est un défi majeur pour l’intégrité des personnes. L’Atlas de la Violence dénombre une augmentation des homicides de 21,9 % entre 2004 et 2014. Selon le Forum brésilien de sécurité publique, le taux de létalité s’établit à 29,1 morts violentes pour 100 000 habitants. Pour rappel, l’OMS calcule qu’au-delà de dix assassinats pour 100 000 habitants, il y a état d’épidémie.

Homicides en augmentation

À Rio de Janeiro, le nombre de décès dus à des actes de violence a augmenté de 11 % en février 2016 par rapport à février 2015. Un sur cinq serait le fait de la police. Qui compte elle aussi ses morts… Entre janvier 2014 et juillet 2015, quinze policiers ont été tués dans les favelas pacifiées (ndlr : dotées d’unité de police de proximité UPP). Ibis Silva, commandant de la police militaire, confirme : «La police meurt et tue beaucoup. Les forces de l’ordre sont mal préparées aux tâches de pacification qu’elles doivent assumer.» Huit ans après la mise en place d’une stratégie pour éliminer le contrôle des trafiquants de drogue sur les favelas, le constat est dur.

Les choses avaient pourtant bien commencé. «La création des unités de police de proximité est un virage à 180 degrés dans la politique de sécurité de la ville», expliquait en 2009 Silva Ramos, directrice du Centre d’études pour la sécurité et la citoyenneté de l’Université Candido Mendes. «Avec la mise en place des UPP, les agressions ont aussi diminué dans les autres quartiers, parce que les groupes armés ont perdu leurs bases de repli. Les délinquants n’ont plus d’endroit où se cacher après leur larcin.» À l’époque, la population des favelas appuyait le projet. «Au début, on avait un peu peur, on disait aux enfants de baisser les yeux quand ils croisaient des policiers armés, comme les trafiquants nous obligeaient à le faire, mais petit à petit, les choses se sont améliorées. On a retrouvé la tranquillité.»

Silva Ramos, pourtant, avertissait déjà : «Le grand risque, c’est que la société considère la question de la violence résolue par la simple présence des UPP dans les favelas. Or, l’intégration des habitants des espaces marginaux dans la cité est un effort de longue haleine et c’est le travail de tous : pouvoirs publics, secteur privé, société civile.» Un travail qui ne s’est pas vraiment fait. Conséquence : la violence a ressurgi. Les trafiquants tentent de reprendre le contrôle des favelas et ciblent leurs attaques sur les bases opérationnelles des UPP. Acculée, la police répond par les armes. La méfiance des habitants à l’égard des forces de l’ordre grandit. Evandro dirige un projet d’animation pour les adolescents de la favela de Turano, au centre-ville. Il confirme : «Les locaux de l’UPP sont à côté de notre centre culturel, mais c’est chacun pour soi. On les ignore, ils nous ignorent… Ici, on est au pied de la favela, c’est la police qui contrôle. En haut, ce sont les trafiquants qui dominent, la police n’y met plus les pieds.»

Est-ce le début de la fin pour les unités de police de pacification, sept ans après leur création ? Non, affirme José Mariano Beltrame, secrétaire d’État à la sécurité. Pour lui, la récente vague d’assassinats ne représente pas une crise, mais il envisage tout de même une réoccupation de certaines zones où la situation est particulièrement critique, comme la Rocinha et le complexe de l’Allemand. C’est un retour en arrière qui ne dit pas son nom. «Le système de patrouille que nous allons mettre sur pied consistera à encercler certains endroits et à faire des incursions ponctuelles. Il ne faut pas s’attendre à plus étant donné le manque de structures et d’effectifs dont nous pâtissons.» Les contraintes financières imposées par la crise économique au budget de l’État mettent en effet à l’épreuve la capacité de Rio de Janeiro d’en finir avec la violence qui la gangrène. Même si celle-ci a globalement diminué. 2015 a connu le plus petit nombre d’assassinats en seize ans : 18,6 victimes pour 100 000 habitants contre 63,2 en 1991, première année où ces statistiques ont été publiées.

Expropriations

Un autre aspect des violations des droits humains, en lien avec les olympiades, a trait aux déplacements de population effectués à l’occasion des travaux entrepris pour moderniser la ville de Rio de Janeiro. Pas tant pour construire les installations sportives que pour faire passer les nouvelles lignes de transports publics. Certes, bien souvent ces expropriations sont nécessaires, mais la manière dont elles sont réalisées suscite la crispation. Un dossier en particulier, celui de la «Vila Autódromo», dont le retentissement international est grand, traduit cet état de fait.

Juin 2011, les travaux dans la zone ouest impliquent la démolition de 3500 bâtiments qui vont être expropriés. La «Vila Autódromo», où vivent 900 familles, est concernée. Elle est située à côté de ce qui va devenir le parc olympique. Ces familles ont appris par la presse qu’elles allaient être relogées ailleurs. Elles entament une vigoureuse résistance. Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à un habitat digne, Raquel Rolnik, est alerté. Le 26 avril 2011, l’ONU divulgue un rapport très critique. «Il y a des expulsions forcées et des violations manifestes des droits de l’homme dans les processus d’expropriation liés aux travaux de la Coupe du monde 2014 et des Jeux Olympiques de 2016.» Ces expulsions violeraient doublement les lois internationales : elles n’ont pas été précédées d’une discussion publique avec les intéressés, parmi lesquels beaucoup ont été contraints d’aller se reloger très loin de leur lieu d’habitation d’origine.

De son côté, la Municipalité précise qu’elle a déjà déboursé 71 millions de réals brésiliens (19 millions de francs suisses) pour indemniser les propriétaires. Cependant, même si les autorités négocient avec prudence, un sentiment de frustration s’est installé.

Le phénomène des expulsions ne concerne pas que Rio de Janeiro, ni le seul dossier olympique. C’est un drame social silencieux qui touche tout le Brésil, affirme l’Institut Igarapé : entre 2009 et 2015, 1,6 million de personnes ont été déplacées à cause de travaux d’intérêt général, de désastres naturels ou pour cause de violence. « Les autorités ne savent pas comment gérer cette question », explique Robert Muggah, directeur de recherche à l’Institut Igarapé. «Il y a même un paradoxe, les pouvoirs publics manifestent une grande sollicitude à l’égard des réfugiés que le pays reçoit – ils étaient 8400 en août 2015 – mais font preuve d’une énorme négligence envers leurs propres déplacés.»

Jean-Jacques Fontaine, journaliste, vit à Rio de Janeiro. Il rédige le blog https://visionbresil.wordpress.com. Son dernier livre, 2016, Rio de Janeiro et les Jeux olympiques, une cité réinventée, est paru aux Éditions L’Harmattan en avril 2016.