Karmen Ramírez Boscán dénonce la mainmise des multinationales sur les terres wayúu au nord de la Colombie © Candice Georges
Karmen Ramírez Boscán dénonce la mainmise des multinationales sur les terres wayúu au nord de la Colombie © Candice Georges

MAGAZINE AMNESTY Colombie Karmen Ramírez Boscán, son combat pour ses terres

Par Candice Georges - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 86, Août 2016
Il est 14h30 lorsque Karmen arrive dans le café où nous avons rendez-vous, visiblement épuisée de sa longue course à vélo. Son entrée dans le bar ne passe pas inaperçue. Sa longue robe à fleurs reflète sa personnalité colorée et pleine de vie, ses longs cheveux noirs tombent de part et d’autre de ses épaules. S’ensuit une accolade amicale comme si l’on se connaissait depuis toujours.

Originaire de la communauté wayúu au nord de la Colombie, Karmen Ramírez Boscán habite en Suisse depuis 2009. Mère de trois enfants, dont deux en bas âge, elle concilie chaque jour vie de famille, travail, ainsi que l’apprentissage de la langue allemande et la découverte d’une nouvelle culture. Un vrai challenge selon elle. Mais Karmen se distingue surtout pour son engagement infatigable en faveur du processus de paix en Colombie et pour les droits des femmes indigènes.

Son destin n’était pourtant pas tracé. Dans les années 2000, alors qu’elle étudie le graphisme à Bogotá, son grand-père ainsi que son oncle et deux cousins sont tués par des groupes paramilitaires. «Je ne pouvais pas rester à Bogotá les bras croisés alors que des personnes de ma communauté étaient tuées», dit-elle. De retour sur ses terres, à Maicao, elle s’engage avec plusieurs autres femmes pour connaître la vérité sur ces meurtres.

En 2006, elle crée «Fuerza de Mujeres Wayúu», un mouvement social dénonçant les exactions commises par les groupes paramilitaires. Karmen découvre alors le véritable intérêt des multinationales et du gouvernement colombien pour les terres wayúu. «Nous avons commencé à parler non seulement des victimes du conflit armé, mais aussi de l’impact négatif de l’exploitation des mines.» Durant trois années, Karmen reçoit de nombreuses menaces avant de décider de quitter le pays pour rejoindre la Suisse.

«Dans ma communauté plus de 5000 enfants sont morts à cause du manque d’eau et de nourriture.» - Karmen Ramírez Boscán

Son départ pour la Suisse n’a pas étanché sa soif de justice : «À Genève, je ressentais le besoin de militer contre Glencore Xstrata, la multinationale suisse co-actionnaire de la mine El Cerrejón qui exploite les terres wayúu. Les multinationales prennent tout. La plupart des territoires qu’elles convoitent appartiennent aux indigènes ; c’est pour cela que notre peuple est tué et déplacé de force», ajoute-elle, la gorge serrée. L’heure tourne et l’émotion commence à la submerger. Elle ne peut s’empêcher de verser quelques larmes en évoquant les conséquences de ces exploitations : «Dans ma communauté plus de 5000 enfants sont morts à cause du manque d’eau et de nourriture. Une génération entière est en train de mourir pendant que El Cerrejón utilise l’eau pour produire du charbon. Plus de 17 000 litres sont utilisés par jour», précise-t-elle, abattue. Pour le peuple wayúu , l’exploitation de leur terre par El Cerrejón est comparable au viol d’une femme. Selon leurs croyances, la terre est sacrée et donne naissance à l’humanité. «Elle nous donne tout. Alors pourquoi ne prenons nous pas soin d’elle ?», questionne Karmen. Son indignation est immense, mais elle ne perd pas espoir : «Je crois en mon peuple, il se bat pour protéger l’eau, et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’aider !»