Votre album est très engagé. Dans vos chansons, vous dénoncez le commerce irresponsable du cacao, l’esclavage, l’islamophobie ou le commerce des armes, d’où vous vient cette inspiration ?
< Jonas : Il y a beaucoup de sujets qui me titillent… Par exemple, lorsque j’étais en Afrique, on me parlait beaucoup du chocolat suisse. Je me suis documenté en lisant La Suisse et l’esclavage des Noirs, et j’ai regardé le reportage La face cachée du chocolat. Je veux parler des sujets qui me touchent, je me pose un peu comme une interface. Beaucoup de gens ne vont jamais lire ce livre ou regarder une heure de reportage. En revanche, ils vont peut-être crocher sur ma chanson, la mélodie au piano va rester dans leur tête, et ils vont chercher à en savoir plus. Dans ma chanson, je suggère le thème de l’esclavage en disant «L’ébène se troquait contre la graine». Je pensais que Nestlé allait me tomber dessus, mais non. Dommage, ça m’aurait fait de la pub. Je pense vraiment que la poésie est un outil intéressant pour sensibiliser les gens à certaines problématiques.
Je pense vraiment que la poésie est un outil intéressant pour sensibiliser les gens à certaines problématiques.
> Pourquoi avoir choisi le rap pour vous exprimer ?
< Pour exister ! Je me suis mis à faire du rap à 12 ans. C’était l’époque des premiers albums d’IAM, MC Solaar et NTM. C’était facile, on faisait ça entre potes en prenant une face B et nous pouvions exister sans l’approbation des adultes ou parce que nous avions fait des bonnes notes. On existait pour nous-mêmes !
> Votre album est traversé par un fil rouge : le paradoxe…
< Oui. Toutes les chansons se déclinent sur un tiraillement nécessaire, d’où Oxymore. Dans la chanson Petit carré, je parle d’une douceur amère, dans Le large, je dis que j’ai besoin de partir au loin pour me retrouver à l’intérieur. Et dans Le couteau, je parle du rap ; tu peux l’utiliser pour planter quelqu’un ou pour préparer une tartine à ton voisin. Nos principes sont des illusions. Il faut forger sa foi dans les brasiers du doute, chaud comme la guerre froide ou la mer Morte. Nous sommes donc tous des oxymores.
Pourquoi faudrait-il taire ce qui ne va pas chez nous ? Pour pouvoir avancer il faut dénoncer ce qui cloche !
> Vous posez un regard critique sur notre société, sur la Suisse, sur votre génération mais également sur vous-même. Est-ce pour échapper à l’étiquette de donneur de leçons ?
< Non, j’assume, je suis un peu un donneur de leçons, mais je crois que pour pouvoir critiquer de manière légitime, il faut avoir la capacité de faire son autocritique. Le fait de faire mon autocritique permettra peut-être aux gens qui m’écoutent de faire la leur. Lors de la sortie du morceau Mon pays a du sang sur les mains, on a été insultés sur Youtube, des gens nous disaient : «Retourne dans ton pays !» Mais la Suisse, c’est mon pays ! Pourquoi faudrait-il taire ce qui ne va pas chez nous ? Pour pouvoir avancer il faut dénoncer ce qui cloche !
> Vous jouez avec les sons, détournez le sens des mots. Est-ce un moyen de décrire la complexité humaine ?
< J’aime bien tourner les sons dans tous les sens et les sens dans tous les sons. Tordre les mots plutôt que mordre l’étau. Hier j’ai trouvé une anagramme : la dissidence et en verlan ça fait la danse d’ici. Nos pensées, nos idées préconçues sont juste un matériel avec lequel on peut jouer. J’aime bien la déconstruction, ça permet de revenir à l’essentiel.