«Nos plus anciennes démocraties remettent en cause des instruments internationaux qu’elles ont élaborés pour la protection de la personne humaine pendant près de 70 ans.» © AI
«Nos plus anciennes démocraties remettent en cause des instruments internationaux qu’elles ont élaborés pour la protection de la personne humaine pendant près de 70 ans.» © AI

MAGAZINE AMNESTY Opinion Droits humains: ère de révisionnisme ?

Par Nadia Boehlen - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 87, Décembre 2016
Depuis l’adoption en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les États membres des Nations unies n’ont cessé d’améliorer les traités internationaux et les institutions qui protègent et promeuvent les droits humains. De plus en plus d’États ont intégré les Nations unies et ratifié ces instruments. Petit à petit, les droits humains ont progressé, en attestent par exemple le recul de la peine de mort, du recours à la torture ou la progression des droits des femmes.

De même, il ne se passe plus une violation grave de la personne humaine dans le monde, sans que la communauté internationale soit alertée. Même si, en attestent actuellement la Syrie, le Yémen ou le Darfour, son immobilisme est souvent désespérant. Même si, presque tous les États membres violent des droits humains, très souvent en ignorant éhontément des traités qu’ils ont ratifiés.

Cependant, une tendance plus grave se dessine, qui est celle de nombreux États à porter délibérément atteinte aux institutions, aux traités et aux lois créées pour protéger les droits humains. Des gouvernements cherchent désormais à faire passer la protection de ces droits pour une menace contre la sécurité ou les valeurs et la grandeur de la nation. Il ne s’agit pas seulement de dictatures sanglantes ou millénaires, et de pays empêtrés dans des conflits internes ou régionaux. Il ne s’agit pas seulement de nations comme la Russie, qui esquisse un dangereux projet d’expansion et d’influence qu’on avait cru banni à jamais de notre continent, ni des États d’Europe de l’Est et du centre, en proie à de dangereuses dérives populistes.

Non, aujourd’hui, nos plus anciennes démocraties rognent sur les libertés individuelles au fondement de leur ordre public. Et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis risque encore d’accentuer cette tendance. L’adoption de mesures de surveillance de masse entre ainsi en conflit avec plusieurs droits fondamentaux inscrits dans leur constitution ou le droit international.

Ces mêmes démocraties remettent en cause des instruments internationaux qu’elles ont élaborés pour la protection de la personne humaine pendant près de 70 ans. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) semble notamment de plus en plus fragilisée au sein de l’Union européenne. Londres a refusé de modifier sa législation sur l’interdiction générale du droit de vote des détenu·e·s condamné·e·s, jugée contraire à la Convention européenne des droits de l’homme par quatre arrêts de la Cour. Tandis que Nicolas Sarkozy souhaite une modification de l’article 8 de la Convention pour «pouvoir expulser tout étranger ou étrangère condamné·e à de la prison.»

La Suisse qui, parée de la légitimité d’un vote démocratique, vient de se doter d’une nouvelle loi sur le renseignement, n’échappe malheureusement pas à cette tendance. Pire, certains milieux helvétiques cherchent allègrement à extraire la Suisse du système international de protection des droits humains. En attestent des initiatives populaires comme «Le droit suisse au lieu de juges étrangers» pour ne mentionner que la plus récente, qui prévoit une prééminence du droit constitutionnel suisse sur le droit international. Or, en plus de s’attaquer aux formes spécifiques de protection des citoyen·ne·s suisses, ce type d’initiatives alimente un climat de révision des mécanismes internationaux de défense des droits humains. Il est donc fondamental de s’y opposer.