«Une robe de Vivienne Westwood et un tampon o.b ®», voici la réponse de l’actrice et humoriste Amy Schumer à la question «que portez-vous ?», posée par une journaliste lors de la cérémonie des Emmy Awards (prix qui récompense les émissions de télévision américaines), le 18 septembre à Los Angeles. L’objectif ? Briser un tabou encore synonyme de gêne, de honte et d’exclusion pour des millions de femmes tout autour de la planète.
500 millions de filles et de femmes dans le monde n’ont pas accès aux ressources adéquates pour gérer leurs règles, selon l'UNICEF.
Près de la moitié des hommes dans le monde sont des femmes. Et celles-ci ont leurs règles chaque mois, pendant trente à quarante ans. Même s’il s’agit d’un événement extrêmement banal, les menstruations restent encore un sujet occulté dans la majorité des régions du monde. Et ce tabou pèse lourd sur les droits des femmes. Selon une étude de l’UNICEF et de l’OMS publiée en 2015, 500 millions de filles et de femmes dans le monde n’auraient pas accès aux ressources adéquates pour gérer leurs règles. En effet, les protections hygiéniques coûtent cher, l’accès à de l’eau et à des sanitaires fait souvent défaut. De nombreuses femmes ont donc recours à des chiffons, du papier journal, des feuilles ou parfois même de la terre. Ces méthodes, en plus d’être inefficaces et incommodantes, sont également dangereuses car elles peuvent entraîner de graves infections. Sans accès à l’hygiène menstruelle, d’autres droits humains, comme le droit à la santé, à la dignité, à la non-discrimination ou à l’éducation sont compromis. En Afrique, par exemple, une jeune fille sur dix manque l’école chaque mois, lorsqu’elle a ses règles, selon l’UNICEF. Dans certaines régions rurales du Népal, les femmes qui ont leurs menstruations sont exclues de la maison et isolées dans des huttes ou des étables. D’autres ont l’interdiction de toucher leurs pairs, de préparer les repas ou d’entrer dans des lieux de culte.
Un droit négligé
Dans le système onusien des droits humains, la question de l’hygiène menstruelle n’est presque jamais abordée. Le Conseil des droits de l’homme a reconnu, pour la première fois en 2014, que les problèmes d’accès aux produits d’hygiène menstruelle et la stigmatisation associée aux règles avaient un impact négatif sur l’égalité de genre et les droits des femmes. Un élément est particulièrement frappant : l’ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement de détenus mentionne la nécessité d’un accès à l’eau et à des articles de toilette. Il est même précisé que les détenus doivent pouvoir se raser régulièrement. En revanche, aucune consigne ne figure pour que les femmes puissent gérer leurs menstruations. Dans un article publié par The Guardian en juin 2015, Chandra Bozelko, auteure du blog Prison diaries (journaux intimes de prison), a dénoncé le manque de produits hygiéniques dans la prison de York, où elle a été détenue pendant sept ans. «Deux détenues reçoivent cinq serviettes hygiéniques par semaine à partager. Ce qui fait un total de dix serviettes par mois, sur un cycle menstruel moyen de cinq jours, ça ne permet de se changer qu’une seule fois par jour.» La blogueuse pointe du doigt une forme de maltraitance : «Demander un tampon à un garde, c’est humiliant. Et cela signifie que la prison contrôle ta propreté, ta santé et l’estime que tu as de toi-même.»
Il va y avoir du sang
Mais comment atteindre l’égalité de genre sans parler des règles ? Afin de sensibiliser à cette problématique et mettre un terme à la stigmatisation, des sportives et des artistes abordent ouvertement leurs cycles dans les médias. En août dernier, la nageuse chinoise Fu Yuanhui déclarait aux journalistes avoir raté son relais 4x100 mètres aux Jeux olympiques de Rio, parce qu’elle était fatiguée en raison de ses règles. En avril 2015, la musicienne Kiran Gandhi, surprise par l’arrivée de ses menstruations, décidait de courir le marathon de Londres sans protection hygiénique, laissant couler le sang entre ses jambes. Par cette action, elle souhaitait sensibiliser le public aux problèmes que rencontrent les femmes pour obtenir des produits hygiéniques, et les encourager à ne pas avoir honte de leurs règles. Enfin, l’artiste Vanessa Tiegs inventait le terme «Menstrala» pour désigner «l’art menstruel». D’autres artistes revendiquent ce terme et désignent leurs menstruations comme source d’inspiration et d’émancipation. Certaines vont jusqu’à réaliser des œuvres avec leur sang.
Une femme consomme en moyenne entre 11 000 et 15 000 tampons ou serviettes hygiéniques, l’équivalent d’un camion de déchets.
Produits recyclables
On estime qu’une femme (quand elle a accès aux produits hygiéniques) consomme en moyenne entre 11 000 et 15 000 tampons ou serviettes hygiéniques, l’équivalent d’un camion de déchets, et dépense plusieurs milliers de francs au cours de sa vie. Ce n’est pourtant pas une fatalité ! Il existe désormais des produits hygiéniques durables: serviettes lavables, coupes menstruelles, éponges de mer ou encore sous-vêtements absorbants. Ces alternatives écologiques et économiques révolutionnent la vie de nombreuses femmes et filles à travers le monde. La coupe menstruelle par exemple, petit objet en silicone recueillant le sang des règles, coûte entre 20 et 40 francs, et peut être utilisée jusqu’à dix ans. De nombreuses associations distribuent désormais l’objet à travers la planète. Parmi elles, l’organisation Femme international organise depuis 2013 des ateliers de gestion de l’hygiène féminine au Kenya et en Tanzanie dans les écoles et les centres communautaires. «Notre équipe de formateurs dispense des informations sur la santé sexuelle, l’anatomie féminine et l’hygiène menstruelle», explique Sabrina Rubli, cofondatrice de l’association. Au terme de l’atelier qui dure quatre heures, les participantes se voient remettre un kit avec du savon, un linge, et peuvent choisir entre une coupe menstruelle ou des serviettes hygiéniques lavables. «5000 femmes et filles ont déjà bénéficié de nos ateliers. 83 % des jeunes filles affirment pouvoir désormais mieux se concentrer à l’école, et 51% d’entre elles ne quittent plus les cours durant leurs règles», ajoute Sabrina Rubli.
Sarah Konner dispensant un atelier sur la santé menstruelle avec son organisation Sustainable Cycles. © DR
Des cycles durables
D’autres initiatives citoyennes voient le jour, comme Sustainable Cycles (cycles durables) aux États-Unis. Sarah Konner se considère comme une «activiste menstruelle». En 2011, elle décide de traverser la côte ouest des États-Unis à vélo avec son amie Toni Craige, pour distribuer des coupes menstruelles. Les deux jeunes femmes qualifient leur association de projet féministe, environnemental et social. Elles ciblent les refuges pour sans-abri, les centres communautaires et les cliniques pour femmes. Elles ont pourtant aussi organisé des ateliers dans des lieux aussi éclectiques qu’un foyer de transition pour anciennes détenues, une base militaire, et une librairie LGBT. «Les refuges pour sans-abri sont fréquemment en rupture de produits hygiéniques», explique l’activiste. «Un jour, une femme m’a raconté que la seule chose qu’elle avait volée dans sa vie était des tampons et des serviettes hygiéniques.» Le prochain voyage est prévu en mai et juin 2017. Une équipe d’une dizaine de cyclistes partira de Californie pour se rendre à Atlanta, où aura lieu la conférence de la société de recherche sur les cycles menstruels, les 23 et 24 juin.
«Les Anglais ont débarqué», disent les francophones, «Je suis sur le chiffon», disent les anglophones, «J’ai passé la frontière, disent les Coréennes». Il existerait 5000 euphémismes pour parler des règles à travers le monde. Le terme «règles» reste encore trop souvent difficile à prononcer. En 1978, la militante féministe Gloria Steinem lançait : «Si les hommes avaient leurs règles, cela deviendrait une caractéristique enviable, virile et une source de fierté !»