Que nous ne brûlions pas des incroyant·e·s sur les places de marché et n’envoyions pas des lesbiennes en maison de redressement peut nous sembler aujourd’hui aussi naturel que respirer. Nous souffrons pourtant de myopie historique: si nous jouissons de nos droits et libertés, c’est parce que des hommes et des femmes ont lutté pour cela durant des siècles, souvent au prix de leur vie.
Dernièrement, ce combat est devenu à nouveau plus dangereux. L’an passé, au moins 281 personnes ont été tuées parce qu’elles s’étaient engagées pour un monde plus humain. Sur les vingt dernières années, leur nombre s’élève à plus de 3500. La majorité des coupables n’ont jamais dû rendre de comptes. Qui défend les droits humains a de plus en plus besoin d’une protection particulière.
Qui défend les droits humains a de plus en plus besoin d’une protection particulière.
Il n’y a pas si longtemps encore, les droits humains semblaient prêts à triompher partout dans le monde. En 1989, le mur de Berlin tombait et des protestations pacifiques mettaient l’empire soviétique à genoux. Beaucoup ont cru alors à l’avènement d’une époque dorée: paix, liberté et démocratie pour toutes et tous.
De cet optimisme, il ne reste plus grand-chose. Poutine et Erdoğan se sont révélés de parfaits autocrates. Le réveil démocratique dans le monde arabe a fini dans le sang et les larmes. Même aux États-Unis et en Inde, les deux plus grandes démocraties du monde, la société civile apparaît soudain à nouveau en danger. Le recul est global. Dans le monde entier, les puissant·e·s étouffent des contestations pacifiques par les armes, interdisent des journaux et des syndicats, font enlever, torturer ou exécuter des défenseur·e·s des droits humains, ou encore diffament des militant·e·s pacifiques en les qualifiant d’«agents de l’étranger», de «traîtres à la patrie» ou de «terroristes».
Société civile muselée
Le droit de réunion est particulièrement menacé. Il y a six ans, des millions de personnes descendaient dans les rues des pays arabes pour demander pain, liberté et justice. En Tunisie, en Égypte, en Libye, le peuple renversait ses despotes en un temps record. Mais le Printemps arabe a effrayé les dictateurs du monde entier et a débouché sur une contre-offensive globale: dans de nombreux pays gouvernés de manière autocratique, le droit d’organiser des manifestations pacifiques a été depuis massivement restreint.
Dans les États démocratiques eux-mêmes, le droit de manifester est également en danger.
Dans les États démocratiques eux-mêmes, le droit de manifester est également en danger. Trop souvent, les forces de l’ordre recourent à la violence pour dissoudre des manifestations pacifiques. Des organisations non gouvernementales (ONG) comme Amnesty, Greenpeace ou Médecins sans frontières subissent des attaques toujours plus fortes. La Russie a ouvert le bal en 2012: les ONG doivent à présent s’y enregistrer comme «agents» lorsqu’elles reçoivent des dons de l’étranger ou «ont une activité politique». Avec ce procédé, les autorités russes ont pu classer des ONG comme «indésirables». L’exemple a fait école dans le monde entier: plus de 90 États ont entre-temps préparé ou déjà introduit des lois pour couper les ailes aux ONG critiques. Il s’agit non seulement de pays aux régimes autoritaires comme la Biélorussie, le Bahreïn ou l’Égypte, mais aussi de démocraties comme Israël, l’Inde ou la Hongrie.
Répression et surveillance sur le net
Les gouvernements sont extrêmement bien armés techniquement pour réprimer les voix critiques. Depuis longtemps déjà, la lutte contre les dissident·e·s et les militant·e·s des droits humains est menée numériquement également – par exemple sur Twitter et Facebook. La journaliste mexicaine d’investigation Carmen Aristegui en a fait l’expérience. En 2015, suite à ses révélations sur des scandales de corruption dans son pays, d’innombrables anonymes ont répandu sur internet la rumeur qu’Aristegui aurait elle-même accepté des pots-de-vin. De tels voyous numériques, appelés «trolls», sont particulièrement actifs dans des pays comme le Mexique, la Russie ou les Philippines. Bien souvent, ils sont payés par des gouvernements ou des entreprises pour discréditer des personnes jugées importunes. «Quand ils ne te tuent pas, ils ruinent ta vie», explique le blogueur mexicain Alberto Escorcia. «Les trolls alimentent un climat de peur permanente. Beaucoup de personnes n’osent plus ouvrir la bouche.» Alberto Escorcia informe sur son blog au sujet de ces campagnes de haine digitales – et fait pour cela régulièrement l’objet de menaces de mort.
Les nouvelles technologies ont de surcroît permis des formes inédites de surveillance.
Au cours des dernières années, les nouvelles technologies ont de surcroît permis des formes inédites de surveillance. Le petit État du Bahreïn utilise par exemple des logiciels d’espionnage sophistiqués pour surveiller des dissident·e·s et des défenseur·e·s des droits humains dans le pays et à l’étranger. Ces «chevaux de Troie» ont été importés depuis des démocraties amies comme l’Allemagne.
La surveillance est un phénomène global et ne se limite en aucun cas à de lointaines dictatures. La police britannique a ainsi espionné des journalistes critiques pendant des années. Les autorités ne notaient pas seulement méticuleusement avec qui ces professionnel·le·s des médias s’entretenaient et ce qu’ils recherchaient, mais elles mettaient aussi leurs nez dans leurs dossiers médicaux et recensaient jusqu’à la couleur de leurs chaussures.
Groupes armés et entreprises
Celui ou celle qui lutte pour les droits humains, la démocratie et la transparence se retrouve non seulement dans le viseur des gouvernements et des services secrets, mais aussi de groupes armés comme l’«État islamique», les cartels de drogue mexicains – et même de puissantes entreprises. Il y a quelques semaines aux Pays-Bas, la Nigériane Esther Kiobel s’est portée partie civile contre le géant pétrolier anglo-néerlandais Shell. En 1993, son mari avait été pendu avec huit autres militants des droits humains après avoir protesté contre l’impact des activités minières de Shell dans le delta du Niger.
Le 2 mars 2016 au Honduras, des hommes armés ont débarqué dans la maison de Berta Cáceres et l’ont exécutée de quatre coups de feu.
Des entreprises sont régulièrement impliquées dans des attaques contre des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s. Le 2 mars 2016 au Honduras, des hommes armés ont débarqué dans la maison de Berta Cáceres et l’ont exécutée de quatre coups de feu. Le meurtre portait un message : la défenseure des droits humains avait lutté contre la construction d’un barrage sur des terres indigènes, entravant ainsi les intérêts de l’entreprise de construction Desa. «Elle avait reçu des milliers de menaces», raconte son frère Gustavo Cáceres. «Sa mort aurait pu être évitée.» Les autorités honduriennes avaient l’obligation de protéger Berta Cáceres. En 1998, elles s’étaient ralliées à la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme, qui prévoit que les États garantissent la sécurité des journalistes, syndicalistes et militant·e·s des droits humains. La déclaration représentait un succès historique. Aujourd’hui, nous devons lutter pour qu’elle soit respectée.