> AMNESTY: Aujourd’hui, le respect des droits humains décline. Quels sont les grands défis qui attendent Amnesty International?
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© Amnesty International
Tawanda Mutasah: Le monde est en mutation, et l’un des changements les plus évidents est certainement l’émergence de politiques de diabolisation, basées sur la peur, la division et la haine. C’est un immense défi pour notre organisation, car les institutions qui défendent le droit international sont contestées. L’échec du Sommet des Nations unies sur les réfugiés et les migrants est emblématique de cette situation. La hausse du nombre d’attaques contre les défenseurs des droits humains reflète également une grande fracture dans la solidarité que les sociétés leur portent, et une détérioration des mécanismes de défense des droits humains.
> Les Nations unies semblent souffrir de ce ralentissement. Le fait que l’Arabie saoudite ait été réélue membre du Conseil des droits de l’homme a beaucoup choqué. Le pays est pourtant loin d’être un exemple, notamment en ce qui concerne les droits des femmes ou le recours à la peine de mort.
< Absolument! La résolution 60/251 stipule que les 47 États qui siègent au Conseil des droits de l’homme doivent être exemplaires dans leur respect des droits humains. C’est pourquoi Amnesty a appelé l’Assemblée générale des Nations unies à suspendre ce pays du Conseil des droits de l’homme.
> D’autres États violent les droits humains, pourquoi suspendre l’Arabie saoudite et pas les autres?
< L’Arabie saoudite procède à des violations systématiques et flagrantes des droits humains. Nos rapports ont démontré qu’au Yémen, la coalition militaire menée par l’Arabie saoudite a utilisé des bombes à sous-munitions, interdites par le droit international. Elle a également eu recours aux bombardements aériens de manière disproportionnée, ne faisant pas suffisamment la distinction entre civils et militaires. Plus grave encore, le roi saoudien a usé de sa position au Conseil des droits de l’homme pour bloquer les enquêtes sur les crimes commis au Yémen. Cet élément a été déterminant.
> La Chine et la Russie mettent systématiquement leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU dans le conflit syrien. Ce droit de veto doit-il être suspendu?
< Amnesty demande une réforme de ce droit. Quels intérêts stratégiques sécuritaires ou quelles excuses peuvent justifier un tel veto? Faire usage de ce droit pour bloquer toute action qui pourrait mettre un terme à des crimes de guerre, à des crimes contre l’humanité, à un génocide, est une position inconsciente, cruelle et cynique face à la vie humaine. L’Assemblée générale de l’ONU a voté en décembre dernier l’établissement d’un mécanisme indépendant d’investigation et de poursuite pour les crimes commis en Syrie. Malheureusement, ce mécanisme rencontre des problèmes de financement.
> Quelle stratégie adopter contre le populisme? Faut-il pointer du doigt les personnalités qui menacent ouvertement les droits humains?
< Afin de rester crédibles, nous devons faire très attention à ne pas désigner certains politiciens comme «a priori inacceptables». En revanche, lorsqu’une personne fait usage d’une rhétorique haineuse ou discriminatoire, nous nous devons de la condamner.
> Amnesty ne devrait-elle pas adopter des arguments plus émotionnels pour contrer les rhétoriques discriminatoires?
< Notre langage ne doit pas forcément se baser sur l’émotion, mais il doit être accessible à tous. Nous devons veiller à ne pas être trop élitistes, technicistes ou éloignés de la réalité des gens. Nous devons trouver les moyens de parler à tous des droits fondamentaux que nous défendons.