Femmes réfugiées dans le camp d’Eliniko, en Grèce. Insuffisamment soutenue par l’Union européenne, la Grèce, qui doit gérer l’accueil de dizaines de milliers de réfugié·e·s, n’est plus en mesure d’accorder des conditions décentes aux personnes en quête de protection. © Amnesty International
Femmes réfugiées dans le camp d’Eliniko, en Grèce. Insuffisamment soutenue par l’Union européenne, la Grèce, qui doit gérer l’accueil de dizaines de milliers de réfugié·e·s, n’est plus en mesure d’accorder des conditions décentes aux personnes en quête de protection. © Amnesty International

MAGAZINE AMNESTY Opinion Les réfugié·e·s stimulent notre compétitivité

Par Nadia Boehlen - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 90, Août 2017
Il n’y a jamais eu autant de réfugié·e·s depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale: plus de 21 millions. Pourtant, l’Europe rend ses frontières étanches pendant qu’en Méditerranée, les personnes en fuite se noient par milliers.

Et elle accueille la part congrue, puisque la majorité des réfugié·e·s demeurent dans les pays pauvres en bordure des zones de crise. Seuls dix pays, qui représentent moins de 2,5% du PIB mondial, accueillent 56% des réfugié·e·s de la planète. La Jordanie (2,7 millions de personnes), la Turquie (2,5 millions), le Pakistan (1,6 million) et le Liban (1,5 million), tous limitrophes, à l’exception du Pakistan, d’une Syrie dévastée par la guerre, figurent en tête de liste.

Les manquements de nos États envers ces personnes qui fuient conflits et persécutions sont légion. Rappelons les plus grossiers. L’Europe qui investit des sommes folles dans la fermeture de ses frontières extérieures : les États membres de l’Union européenne (UE) ont construit plus de 235 kilomètres de clôtures aux frontières extérieures, pour plus de 175 millions d’euros!  Cette même Europe qui négocie des accords migratoires avec des pays comme la Turquie, assortissant aide financière et concessions politiques à la réadmission et au renvoi de réfugié·e·s. Ce type de marchandage est honteux tant parce qu’il considère comme sûrs pour les réfugié·e·s des pays qui ne le sont absolument pas, que parce qu’il incite les dirigeant·e·s européen·ne·s à fermer les yeux sur les violations et les exactions qui s’y commettent par ailleurs.

Les manquements de nos États envers ces personnes qui fuient conflits et persécutions sont légion.

Mais encore, la Hongrie qui parque les réfugié·e·s arrivant sur son territoire, y compris des enfants, dans des zones de transit – c’est-à-dire des conteneurs entourés de barbelés – en vue de les renvoyer. Le déficit de solidarité européenne envers les pays situés aux frontières extérieures de l’Europe, notamment l’Italie et la Grèce, qui doivent gérer l’accueil de milliers de réfugié·e·s et ne sont plus en mesure d’accorder des conditions décentes aux personnes en quête de protection.

Et pour regarder plus près de chez nous, la Suisse qui applique scrupuleusement le règlement Dublin – lequel confère au pays de première entrée en Europe la responsabilité de traiter la demande d’un·e requérant·e d’asile – pour renvoyer des candidat·e·s à l’asile et contenir les statistiques en ce domaine. Au détriment de liens familiaux, de raisons humanitaires, contrevenant même au droit international. Amnesty International et d’autres organisations de défense des réfugié·e·s et des migrant·e·s ont d’ailleurs lancé un appel national pour assouplir les conditions d’application de ce règlement Dublin.

Il faut s’interroger sur les raisons de notre réticence à accueillir les réfugié·e·s. Aurions-nous peur de la compétitivité et de la créativité dont ces personnes font preuve dans les chemins qu’elles dessinent pour s’intégrer et réaliser souvent, l’espace de deux générations, une remarquable ascension sociale? Derrière l’impossibilité prétendue d’en accueillir plus que tant, ne se cache-t-il pas, chez certain·e·s d’entre nous, la crainte d’avoir moins? Moins de richesse, moins de travail, moins de logements, une école de moindre qualité pour nos enfants? Or si nous y réfléchissons bien, les enjeux liés à l’accueil et à l’intégration des réfugié·e·s nous poussent justement à améliorer les mécanismes d’inclusion des plus vulnérables d’entre nous, à parfaire nos politiques scolaires, urbaines, sociales et la gestion de nos collectivités. Bref, l’accueil des réfugié·e·s stimule notre compétitivité!

Ne faut-il pas réfléchir, enfin, à l’indécente richesse dans laquelle beaucoup d’entre nous se vautrent encore et toujours dans nos contrées? Dans son premier roman, 39 rue de Berne, Max Lobe, écrivain camerounais qui vit en Suisse et enrichit magistralement notre littérature, fait surgir le monstre de Genévroïna. Une sirène à la gueule béante qui engloutit tous les cadavres flottant dans les eaux après qu’un immense déluge a recouvert toutes les richesses de cette Genève «qui a oublié d’aider ses enfants pauvres»! Une image féconde pour dire à quel point notre opulence demande à être partagée bien davantage.