«Ma vie est en zigzag, mais elle comporte des points fixes: mes convictions, qui se construisent à l’adolescence», confie-t-elle. Arrivée à la cinquantaine, Emily Baud conserve un enthousiasme aussi intact qu’à l’adolescence. Élevée dans un foyer où on ne parle pas de politique aux enfants, elle reçoit de la branche monarchiste et catholique de sa famille une vision élitiste du monde. Un héritage qu’elle «passera à la moulinette» entre 13 et 16 ans avec l’aide des livres, l’autre facette de son éducation.
De Voltaire à Amnesty
Sur le plan professionnel, elle qui se projetait dans la culture trouve d’abord un poste d’enseignante de français langue étrangère. Elle compense en faisant lire Zola, Voltaire et Hugo à ses élèves et en les sensibilisant aux droits humains: «La peine de mort comme sujet de rédaction, aucun de mes étudiants n’y coupait.»
Passionnée par l’esprit des Lumières, Emily Baud voit en Voltaire – né comme elle un 21 novembre – une «figure tutélaire». En 1999, elle trouve d’ailleurs le «job de ses rêves» au Centre culturel de rencontre qui se crée dans le château de Ferney, où vécut le philosophe. Quand le centre ferme trois ans plus tard, elle reporte son énergie dans l’engagement bénévole: relecture pour des écrivain·e·s africain·e·s, projets culturels et, bien sûr, Amnesty.
«En politique, tu es obligée de faire des concessions, alors que dans les droits humains, tu peux défendre tes convictions entièrement»
Sa première expérience du militantisme et de la fraternité, c’est au Parti communiste français (PCF) qu’elle la vit, alors étudiante à Paris. La collégienne qui manque le début des cours pour participer à la Fête de l’Huma, le grand raout annuel du PCF, n’adhérera pourtant jamais à un parti: «En politique, tu es obligée de faire des concessions, alors que dans les droits humains, tu peux défendre tes convictions entièrement», explique-t-elle.
Contre la peine de mort
Son entrée à Amnesty Genève en 2011? «Je voulais agir contre la peine de mort, le combat de ma vie», raconte-t-elle en rallumant une cigarette. Aux sources de son engagement, un double choc à l’adolescence: sa lecture du livre L’exécution de Robert Badinter, suivie de l’exécution de Christian Ranucci en 1976, un jeune homme à peine plus âgé qu’elle alors. «La foudre m’est tombée dessus. Ce matin-là de juillet radieux, dans mon pays chéri, la France, patrie des droits de l’homme, on avait coupé la tête d’un homme.» Face aux réactions épidermiques de son entourage, qui lui rétorque qu’il avait «tué une gamine», elle reste sans voix. «À partir de ce moment-là, c’est une obsession: il faut d’une part que cela cesse et, d’autre part, que mon argumentaire soit imparable.»
Dès lors, cette battante peut citer de tête les dates et les noms des personnes exécutées, ne manque pas une lettre aux autorités et ressent chaque exécution comme un échec personnel. Un engagement sans bornes qui s’étend rapidement aux autres «causes amnestiennes», comme la campagne pour la CEDH ou l’initiative pour des multinationales responsables.
«Dépression post-Trump»
Une femme aussi passionnée connaît-elle des moments de découragement? «Oui, ils sont proportionnels à l’exaltation.» Derniers en date: les exécutions en Arkansas et l’impossibilité d’obtenir la fermeture de Guantánamo par Obama. L’investiture du nouveau président des États-Unis a aussi déclenché chez elle une «dépression post-Trump». Depuis, elle a fait sienne la devise attribuée à Guillaume d’Orange: «Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.»
Persévérer, Emily Baud entend bien s’y employer: «J’aimerais, à l’instar de Stéphane Hessel ou de Robert Badinter, mon idole, continuer à me battre jusqu’à la fin pour les causes de ma vie.» Et vivre assez pour voir l’abolition universelle de la peine de mort.