© Richard Burton / Amnesty International
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MAGAZINE AMNESTY Défenseur·e·s des droits humains Turquie: société civile muselée

Par Erol Önderoğlu, journaliste et représentant de Reporters sans frontières à Istanbul - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 90, Août 2017
Depuis le coup d’État avorté de juillet 2016, les défenseur·e·s des droits humains assistent à une liquidation de leur terrain d’action en Turquie.

Depuis la fin des négociations avec le mouvement politique kurde (PKK) en juillet 2015, Recep Tayyip Erdoğan a cherché à détruire les acquis de la société civile turque. Licenciements universitaires, incarcérations pour des prises de position contre les exactions commises au Kurdistan, condamnations de journalistes à de la prison avec sursis afin de pousser les médias à l’autocensure, toutes les méthodes sont bonnes pour museler la société civile. Depuis le 16 avril dernier, Erdoğan s’appuie en outre sur son système «d’hyper-présidence» acquis par référendum.

Licenciements massifs  

En janvier 2016, des centaines de cadres progressistes et laïcs, à l’origine de la pétition «Pour la Paix» qui demandait l’arrêt des opérations militaires dans les provinces kurdes, ont été licencié·e·s. C’est le cas notamment de la sociologue Nil Mutluer, licenciée par l’Université de Fatih à Istanbul, puis contrainte à quitter le pays et à refaire sa carrière en Europe. Sevilay Çelenk, professeure agrégée de la Faculté de communication de l’Université d’Ankara, a dû quant à elle renoncer à son poste après 22 ans de carrière car elle a été licenciée et privée de passeport par décret-loi.

Condamné·e·s pour un acte de solidarité

Ces derniers mois, des dizaines de militant·e·s, parmi lesquel·e·s Rengin Arslan, Nadire Mater et Çilem Küçükkeleş, ont été condamné·e·s pour propagande terroriste après avoir participé à titre symbolique à une campagne de solidarité avec le journal pro-kurde Özgür Gündem (Agenda Libre).

L’experte en médecine légale Şebnem Korur Fincancı, auteure notamment d’un rapport sur les exactions commises à Cizre, risque toujours 15 ans de prison pour le même motif. L’avocate Eren Keskin, quant à elle, est depuis des années interdite de sortie du territoire pour avoir accusé des membres des forces de l’ordre d’abus sexuels et évoqué la «question du Kurdistan».

Les décrets-lois mis en vigueur depuis la tentative de coup d’État ont mis entre les mains du pouvoir un arsenal de moyens répressifs que ni les parlementaires persécutés, ni les médias critiques, plus que jamais affaiblis, ni la justice, elle-même démantelée, ne sont désormais plus en mesure de contester.

le militantisme et le journalisme critique équivalent désormais à une trahison.

15 ans de réformes sacrifiés

Après 15 ans de négociations en vue d’une adhésion à l’Union européenne, la société civile et les médias critiques sont condamnés au silence. Erdoğan et son gouvernement cherchent à isoler le pays sur le plan international, à se débarrasser des engagements pris sur le plan des conventions européennes ou internationales et à se consolider sur le plan idéologique. La question kurde, le combat contre l’impunité, la corruption, les violations des droits humains en lien avec les opérations militaires dans les provinces kurdes ou les exactions commises lors de la répression du putsch s’inscrivent dans la longue liste des sujets tabous en Turquie. Dans ce contexte, le militantisme et le journalisme critique équivalent désormais à une trahison.


Une répression qui s’abat sur Amnesty

Défendre pacifiquement les droits humains devient chaque jour plus dangereux en Turquie. Idil Eser, directrice d’Amnesty Turquie, a été placée en détention préventive le 18 juillet aux côtés d’autres défenseur·e·s des droits humains. Son inculpation intervient quelques semaines après celle de Taner Kılıç, président d’Amnesty Turquie, inculpé «d’appartenance à l’organisation terroriste de Fethullah Gülen».