Antoine Deltour, l’un des lanceurs d’alerte à l’origine des «LuxLeaks», ici entouré de ses avocats, avait été condamné par le tribunal correctionnel du Luxembourg. © Ato Grosso/Creative Commons
Antoine Deltour, l’un des lanceurs d’alerte à l’origine des «LuxLeaks», ici entouré de ses avocats, avait été condamné par le tribunal correctionnel du Luxembourg. © Ato Grosso/Creative Commons

MAGAZINE AMNESTY Lanceur d'alerte Les leçons d’une victoire

Par Jean Stern - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 92, Mars 2018
À l’origine de révélations qui mettaient en lumière le dumping fiscal échafaudé par l’administration du Luxembourg au profit des multinationales disposant de filiales luxembourgeoises, Antoine Deltour a obtenu gain de cause devant la justice.

C’est une formidable victoire qu’a obtenue Antoine Deltour devant la Cour de cassation du Luxembourg. La cour a cassé le jugement prononcé le 15 mars dernier qui condamnait l’ancien auditeur de PricewaterhouseCoopers (PwC) à 6 mois de prison avec sursis et 1500 euros d’amende. Âgé aujourd’hui de 32 ans, le Français était à l’origine des révélations dites «LuxLeaks», qui mettaient en lumière le dumping fiscal échafaudé par l’administration du Grand-Duché au profit des multinationales disposant de filiales luxembourgeoises. 

De ce fait, la Cour de cassation reconnaît le statut de lanceur d’alerte à Antoine Deltour, au terme d’un marathon judiciaire de plus de trois ans. Par contre, le recours d’Antoine Halet, lui aussi ancien salarié de PwC, a été rejeté, et ses avocats vont se pourvoir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Antoine Deltour s’est réjoui de cette «grande victoire» mais a déploré le traitement réservé à son ex-collègue.

C’est une bonne nouvelle pour au moins trois raisons. D’abord, pour Antoine Deltour lui-même. Bien qu’éprouvé personnellement, il n’a jamais baissé les bras, estimant n’avoir fait que son devoir de citoyen. D’autres révélations, les Panama Papers puis les Paradise Papers, ont depuis lors montré à quel point les gâteries fiscales dont bénéficient les grandes sociétés et les hyperriches, avec la complicité plus ou moins active d’innombrables sociétés offshore mais aussi de nombreux États, étaient moralement et socialement insupportables.

C’est ensuite une bonne nouvelle pour celles et ceux qui se battent pour obtenir un statut et des protections pour les lanceurs et lanceuses d’alerte. Antoine Deltour et quelques autres se sont risqué·e·s à dévoiler les scandales qui se passaient sous leurs yeux. Et ont souvent payé un prix très élevé: perte d’emploi et de revenus, pressions, menaces...  

C’est enfin un encouragement à continuer à soutenir d’autres lanceurs et lanceuses d’alerte, Edward Snowden en particulier. Snowden est poursuivi pour avoir défendu nos libertés en dévoilant les incroyables abus de la surveillance numérique du gouvernement américain. Début 2017, à l’initiative d’Amnesty International, un million de personnes avaient en vain demandé à Barack Obama de le gracier avant la fin de son mandat. Toujours exilé en Russie, son avenir reste incertain. Il faut continuer la mobilisation. L’ex-sous-traitant de la National Security Agency (NSA) ne se laisse pas abattre. Il vient de lancer l’application Haven, libre et gratuite, destinée à faire de son smartphone un système d’alarme. Public visé: journalistes, lanceurs et lanceuses d’alerte, défenseur·e·s des droits humains. Beaucoup de monde, donc.