> AMNESTY: Dans votre dernier album, S’enfuir, vous racontez les cent onze jours de captivité de Christophe André, un employé de l’organisation Médecins Sans Frontières (MSF) kidnappé en Tchétchénie, avec, comme seul décor, une chambre, un matelas, un radiateur et une paire de menottes. Pourquoi avoir choisi le thème de la prise d’otage?
< Guy Delisle: J’ai toujours été fasciné par les histoires de kidnapping. J’avais lu un article qui retraçait le parcours de Christophe André. J’ai trouvé extraordinaire que cet homme ait réussi à s’échapper par lui-même. Un jour, lors d’un repas, je me suis retrouvé par hasard à côté de lui. Il m’a raconté en détail son séjour en Tchétchénie. J’étais complètement fasciné et je me suis dit que son histoire pourrait être adaptée en BD. Je voulais montrer comment on réussit à tenir psychologiquement dans une situation comme la sienne.
> Le thème de la liberté et de l’enfermement est omniprésent dans votre travail. Dans Chroniques birmanes, vous parlez d’Aung San Suu Kyi qui est assignée à résidence, dans Chroniques de Jérusalem, vous expliquez que les Palestinien·ne·s ne peuvent pas se déplacer librement…
< Le pire qui pourrait m’arriver serait d’être privé de ma liberté. Lorsque l’on parle de droits fondamentaux, tout commence avec la liberté. Si on ne l’a pas, rien ne peut suivre. Je ne cherche pas à parler absolument des droits humains, mais lorsqu’on va en Corée du Nord ou à Jérusalem, si on ne parle pas de l’aspect politique, on rate quand même une grosse partie de ce que vivent les gens.
> Vous racontez des drames, sans vous prendre trop au sérieux, et jouez avec le décalage culturel. Votre approche est presque anthropologique?
< Oui. L’anthropologie me fascine et mon travail ressemble plus à ça qu’à un travail de journaliste. Je passe une année dans un endroit et je ramasse de petites observations que je mets ensemble. Il y a des détails que je trouve très exotiques et qui me permettent de raconter le monde. Je parle de ma famille ou de problèmes de voiture. J’ai appris que les Juifs viennent faire réparer leur voiture dans des quartiers arabes parce que c’est moins cher, et qu’ils mettent des vitres en plastique parce que lorsqu’ils rentrent chez eux, dans des colonies, on leur lance des cailloux. Avec le plastique, ça ne se casse pas en mille morceaux. J’aime ce genre d’anecdotes.
> C’est peut-être ces petits détails qui rendent vos albums accessibles et touchent le public…
< Peut-être. Quand je regarde un documentaire, j’aime apprendre des choses en m’amusant, j’essaie donc de faire des livres comme ça. La bande dessinée a une grande force pédagogique. En deux, trois pages, avec un dessin ou un graphique, on peut expliquer l’esplanade des mosquées, la situation de la vieille ville, le mur… C’est une perspective qui me plaît.
> Quelle sera votre prochaine destination?
< J’aimerais aller au Japon. La culture japonaise rayonne beaucoup grâce aux mangas. Mes enfants ont lu les séries Naruto, One Piece et Dragon Ball et rêvent d’y aller. Cela montre bien l’importance qu’a la bande dessinée en termes de «soft power». Les Japonais n’ont pas à faire beaucoup d’efforts diplomatiques, ils n’ont qu’à balancer leurs mangas dans le monde entier pour faire connaître leur culture.