Quelque 250 000 sinistré·e·s pataugent chaque année à Dakar dans des flaques d’eau stagnante où des larves se développent par plaques. Récurrentes depuis 2015 dans des quartiers de banlieue où la nappe phréatique est trop proche du sol, les inondations font planer le risque de choléra – endigué par les autorités avec la distribution massive de flacons d’eau de Javel et de seaux en plastique. Chaque année, les habitant·e·s des quartiers insalubres de la grande banlieue de Dakar, à Pikine et Guédiawaye, voient les fosses septiques se déverser dans les rues, pour former des mares nauséabondes. Les gens s’en sortent comme ils peuvent, en rehaussant leurs meubles avec des parpaings ou des coques de batteries de voitures, et prennent leur mal en patience, en attendant l’arrivée de la saison sèche.
Inquiets, les bailleurs de fonds restent impuissants. Selon l’ambassade de France à Dakar, les inondations de 2012 ont touché 8000 maisons à Pikine, sur une zone de 150 hectares. Elles ont provoqué 26 morts, affecté 264 000 personnes et contraint 5000 familles à se reloger. De son côté, la Banque mondiale estime que la valeur des actifs économiques menacés par les inondations à Dakar s’élève à 40 milliards d’euros. Soit deux fois le PIB du pays.
Inondations: un problème structurel
La coordination de la réponse publique reste entravée par les méandres de l’administration et les aléas politiques de la démocratie sénégalaise.
Un Plan décennal de lutte contre les inondations a bien été adopté par les autorités en 2012, sans rien changer au problème structurel posé par ce phénomène lié au changement climatique. Des opérations urgentes de pompage de l’eau doivent être organisées chaque année par les mairies d’arrondissement. La coordination de la réponse publique reste entravée par les méandres de l’administration et les aléas politiques de la démocratie sénégalaise. «Je suis désolé de le dire, mais depuis que Senghor a quitté le pouvoir en 1980, c’est le bordel à Dakar!» Pierre Goudiaby, architecte de renom, peste régulièrement contre l’absence depuis bientôt 40 ans de tout plan d’urbanisme concerté entre les différents niveaux de décision local, régional et national à Dakar. L’anarchie qui prévaut fait que les populations paient parfois très cher pour la réalisation de grands projets.
Ainsi, faute de tout plan d’assainissement, le quartier pauvre de Pikine «Irrégulier Sud» (300 000 habitants) est encore plus gravement touché par les inondations depuis 2013. La raison? Sa topographie, une croissance urbaine incontrôlée et un assainissement qui ne suit pas. En outre, le quartier est traversé par une autoroute construite par le groupe Eiffage pour relier Dakar à la ville nouvelle de Diamniadio, où se trouve le nouvel aéroport. L’ouvrage, très lourd, repose sur des piliers de blocs de béton qui ont contribué à l’affaissement du sol, déjà en dessous du niveau de la mer. Qui plus est, le maire de Dakar, Khalifa Sall, populaire en raison de ses efforts visant à améliorer le quotidien des personnes vivant dans la capitale, était aussi le principal challenger du président sortant Macky Sall lors de la présidentielle de 2019. Il a été mis hors jeu par son incarcération en mars 2017 pour fraude et détournement de fonds, avant d’écoper en mars 2018 de cinq ans de prison ferme.
l’exode rural et la pauvreté font que les zones insalubres des banlieues sont immédiatement repeuplées.
Bien avant cet imbroglio, la présidence de la République s’était emparée du dossier des inondations, qui provoque colère et indignation chaque année. Des quartiers ont ainsi été déplacés à la faveur d’une politique de relogement ambitieuse, mais vaine. Le projet Jaxaay («L’aigle» en wolof), lancé en 2006 par l’ancien président Abdoulaye Wade, a permis de reloger 30 000 personnes dans 3000 maisons à loyer modéré, prises en charge à 60% par l’État, dans une autre banlieue de Dakar, Keur Massar. Seul problème: l’exode rural et la pauvreté font que les zones insalubres des banlieues sont immédiatement repeuplées. Dans ce pays macrocéphale, Dakar centralise l’activité, les perspectives et donc les espoirs de s’en sortir pour le quart de la population du pays (3 à 4 millions de personnes), qui s’y entasse tant bien que mal.
La montée du niveau de la mer
Autre changement flagrant lié au climat: la montée du niveau de l'océan, qui attaque tout le littoral. L’Atlantique menace d’engloutir des îles en Casamance, au sud du pays, aussi bien que dans la région touristique de la Petite Côte. Là, l’avancée de la mer est spectaculaire dans certains endroits, où les vagues ont déjà envahi les jardins de belles résidences secondaires. Il est aussi beaucoup question de cette avancée des eaux à Saint-Louis, ville du nord du pays classée par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité. Mais le phénomène concerne aussi Dakar. Et pour cause: la capitale se niche sur la presqu’île du Cap-Vert, le point de l’Afrique le plus avancé dans l’Atlantique.
«l’écologie est devenue un show-business: tout le monde en parle mais personne ne fait rien.»
Les constats se multiplient. Selon une étude faite par la mairie de Rufisque, en grande banlieue de Dakar, la mer gagne 1 mètre de côte par an en moyenne. Cette commune a érigé en 2013 une digue de 730 mètres à Thiawlène, en présence d’Ali El Haïdar, président de la Fédération des écologistes du Sénégal (Fedes), ancien ministre de l’Écologie (2012) et de la Pêche (2013). Ce dernier, qui n’est pas resté ministre longtemps en raison de sa lutte contre la corruption, dénonce souvent le fait que «l’écologie est devenue un show-business: tout le monde en parle mais personne ne fait rien». Cette digue est en effet restée un cas unique au Sénégal. Les appels des chefs religieux, pourtant influents dans ce pays, à la multiplication de travaux du même type pour protéger les quartiers habités le long des côtes restent peu écoutés.
Là encore, la réponse publique concertée fait défaut. Dans une ville voisine de Thiaroye, des blocs de maisons se sont déjà éboulés le long de la côte, dans l’indifférence générale. Même l’antenne de Greenpeace au Sénégal n’en fait pas une priorité. Elle est plus concentrée sur la lutte contre la pêche illégale dans les eaux ouest-africaines, qui décime les ressources halieutiques et prive les pêcheurs de leur moyen de subsistance.
Un cas d’école
En attendant une mobilisation plus vive, les habitants de Bargny, une ville côtière située à 30 km de Dakar, ont protesté lors des Conférences des parties sur le climat (COP) à Paris et Marrakech. Leur ville est devenue un cas d’école de la catastrophe écologique en cours en Afrique: des dizaines de maisons ont été démolies par la mer, mais les terrains constructibles pour reloger les sinistré·e·s font défaut. La ville les réserve en effet à deux projets de centrales à charbon, prioritaires pour approvisionner en électricité une capitale qui subit des coupures de courant. Les centrales vont polluer l’atmosphère, et ajouter un problème sanitaire à Bargny, déjà confronté à la montée des eaux. Le 28 janvier 2014, les services des Nations unies sur les risques de désastre ont donné l’alerte. «Le changement climatique est en train de noyer le Sénégal», a souligné Margareta Wahlström, qui a rencontré des maires soucieux d’obtenir de l’aide internationale. Quatre ans plus tard, un plan d’action fait toujours défaut, alors que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Abdoulaye Daouda Diallo, était le premier à reconnaître que le manque de coordination autour de la protection civile en cas de catastrophe naturelle représentait encore une «faiblesse majeure» au Sénégal.
* Journaliste indépendante spécialiste de l’Afrique noire.