La lumière automnale enveloppe les passant·e·s d’un halo particulier au bord du lac Léman. Ce matin, Julie Melichar a troqué le pont de l’Aquarius pour les Bains des Pâquis. Sa longue chevelure rappelle la rousseur des arbres et le vert intense de ses yeux, la profondeur de la mer Méditerranée.
Si ses bottes foulent la terre d’un pas assuré, une part d’elle est restée en mer. La jeune femme a passé deux mois à secourir les migrant·e·s en Méditerranée centrale, à bord de l’Aquarius, le bateau affrété par SOS MÉDITERRANÉE et opéré en partenariat avec Médecins sans frontières. La jeune femme de 27 ans choisit avec précaution les termes qu’elle utilise. Elle connaît le poids des mots. L’une de ses tâches était de recueillir les témoignages des survivant·e·s. Certains semblent la hanter. Une femme camerounaise, vendue comme esclave sexuelle, lui confie qu’elle ne sait plus ressentir la joie. Un Soudanais lui décrit ses conditions de détention en Libye : cellules bondées qu’il partage avec des corps en décomposition. Julie Melichar rapporte l’horreur, l’émotion au bord des yeux. L’indignation semble être le carburant de cette Neuchâteloise engagée depuis de nombreuses années pour les réfugié·e·s. « Lorsque j’étais en échange à Berlin, beaucoup de requérants d’asile sont devenus des amis. Je ne pouvais pas rester les bras ballants face aux injustices qu’ils subissaient. » Elle s’engage donc, à son échelle, en leur donnant des cours d’allemand. Début 2016, puis en 2017, elle se rend à Lesbos. Dans un camp à côté de la plage, elle passe des heures à distribuer des vêtements aux femmes et aux enfants arrivés sur l’île grecque. De retour en Suisse, elle organise des cours de français et des rencontres pour les migrant·e·s récemment arrivé·e·s à Genève. L’association s’appelle désormais l’Initiative Migration.
Intellectuelle, passionnée par la thématique migratoire, Julie Melichar consacre son travail de fin de master à la réponse humanitaire apportée par les bénévoles après l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. L’accord prévoit le renvoi des personnes arrivées en Grèce par la Turquie vers ce dernier pays si leur demande d’asile est refusée. Ce qui a eu pour conséquence de bloquer des dizaines de milliers de personnes sur les îles de la mer Égée dans des conditions effroyables. « Pour beaucoup, l’engagement humanitaire constitue un acte politique face aux conséquences désastreuses des politiques européennes. » Ce constat lui donne l’énergie d’en faire davantage. Après un stage au CICR, elle rejoint SOS MÉDITERRANÉE avec laquelle elle embarque sur l’Aquarius, le dernier navire civil de sauvetage opérant en Méditerranée centrale.
Pendant les sauvetages, elle accueille les survivant·e·s sur le pont et les aide à enlever leur gilet de sauvetage. «Certaines personnes ne tiennent plus sur leurs jambes. D’autres pleurent de soulagement d’avoir atteint la sécurité avant que leur embarcation ne chavire.» Les déboires de l’Aquarius ont fait du navire un symbole de la résistance de la société civile face à la criminalisation de la solidarité. En juin, l’Italie lui a fermé ses ports et depuis, débarquer les personnes secourues sur le continent européen est devenu un casse-tête. Son pavillon a tour à tour été révoqué par Gibraltar et le Panama. Depuis le 4 octobre, le bateau est à quai dans le port de Marseille. Empêché d’accomplir sa mission pourtant si nécessaire. Une interpellation ainsi qu’une pétition demandant au Conseil fédéral d’octroyer un
pavillon suisse à l’Aquarius ont été déposées en octobre, celles-ci ont été balayées par les autorités le 3 décembre. Le Conseil fédéral estime qu'une telle action compromettrait les efforts coordonnés de l'Union européenne dans la résolution de la crise migratoire en mer Méditerranée. Le 6 décembre, SOS MÉDITERRANÉE et Médecins sans frontières renoncent à affréter l'Aquarius. Ils espèrent pouvoir reprendre les sauvetages avec un autre bateau le plus rapidement possible.
Sous la poitrine de la jeune femme, une colère gronde : «Les efforts des gouvernements européens pour criminaliser nos actes me scandalisent. Nous répondons à l’obligation de porter assistance à toute personne en détresse, un acte que tout le monde devrait faire. Il ne s’agit pas d’une crise migratoire en Europe mais bien d’une crise de la solidarité», glisse-t-elle en regardant l’horizon.
Les difficultés ne sont pourtant pas venues à bout des réserves d’énergie de Julie Melichar. « Tant qu’il reste des personnes à sauver, nous y retournerons. » En attendant de reprendre le large, elle coordonne la mobilisation des bénévoles de SOS MÉDITERRANÉE en Suisse romande. « Il y a un gros engouement, nous recevons des offres de bénévolat tous les jours. » La militante incarne avec simplicité cette société civile qui refuse de se résigner: « Avec un peu de volonté, on peut faire beaucoup de choses. On commence petit, mais j’ai l’espoir que cela fasse boule de neige ! »