AMNESTY: > En quoi votre travail au sein de l’organisation a-t-il inspiré votre écriture?
< Nadia Boehlen : Certaines de mes nouvelles ont initialement été publiées dans le magazine AMNESTY. Les thèmes que l’organisation aborde sont très vastes et au coeur de ce qui fait une existence. Je m’en suis donc inspiré assez facilement pour créer mes personnages. Mes nouvelles prêtent par exemple leur voix à une enfant placée, des enfants de sanspapiers, des réfugiés ou des femmes qui se battent pour leur indépendance et l’avenir de leurs enfants. À travers des scènes emblématiques de leur vie, j’ai voulu aborder des thèmes comme la migration, l’intégration, la xénophobie ou l’égalité de genre.
> Comment avez-vous créé des textes de fiction à partir de ces thèmes?
< Au début, le cadre des droits humains me semblait contraignant. Puis, je me suis aperçue que je pouvais mettre un peu de moi dans des personnages que je créais, pour qu’ils collent à ce thème. Les personnages de ces nouvelles traversent tous des épreuves, la nécessité d’occuper un travail sous-qualifié après avoir émigré, la difficulté de s’imposer dans un emploi traditionnellement considéré comme masculin ou le mépris subi en raison de leur origine. J’ai voulu mettre de la lumière dans ces parcours de vie malgré leur âpreté. J’ai cherché à m’écarter de discours convenus ou moralisateurs, en montrant par exemple qu’on peut être en faveur de l’égalité des genres et pourtant l’entraver. Comme cette femme qui doit lutter pour devenir ingénieure, mais refuse à son fils qu’il fasse de la danse classique. Au contraire, on peut avoir des idées conservatrices mais s’ouvrir aux droits humains dans la pratique, comme ce père UDC qui, à travers ses trois enfants métisses, change sa manière de penser et finit par voter en faveur des droits des étrangers.
J’ai cherché à m’écarter de discours convenus ou moralisateurs, en montrant par exemple qu’on peut être en faveur de l’égalité des genres et pourtant l’entraver.
< Dans un texte, une jeune femme tombe amoureuse d’un homme du Cap- Vert mais elle n’est pas prête à affronter le regard des autres sur leur relation…
> J’ai voulu montrer qu’elle était imprégnée malgré elle de sentiments xénophobes. C’est une jeune femme universitaire, ouverte à la diversité culturelle. Elle est manifestement attirée par cet homme venu d’ailleurs. Mais parce qu’elle craint le regard des autres, elle se prive d’une histoire d’amour avec lui. Dans ce cas, la xénophobie induit une manière de perpétuer l’imperméabilité sociale
< Vous peignez plusieurs histoires d’amour. Celles-ci résistent rarement aux différences culturelles. Le métissage amoureux est-il forcément douloureux ?
> C’est surtout le métissage de statuts sociaux que j’ai voulu aborder. La compétition sociale s’insère souvent dans les liens amoureux pour les fragiliser. C’est quelque chose qui m’interpelle beaucoup. Néanmoins, l’amour survit souvent à ces relations métissées, soit sous la forme d’une descendance, soit que les personnes en ressortent grandies. Comme ce jeune Érythréen protagoniste d’une de mes nouvelles, qui constate qu’il n’a plus peur de ses origines après sa relation amoureuse avec une camarade de classe suisse.
L’émancipation des femmes à travers leur travail, la richesse et la beauté que ce mouvement leur insuffle m’inspirent.
< Plusieurs de vos nouvelles mettent en scène des femmes fortes et indépendantes.
> On observe aujourd’hui encore une dépendance économique des femmes envers les hommes. Il en résulte souvent pour elles une sensation d’enfermement, une difficulté à se réaliser, assorties d’amertume. L’émancipation des femmes à travers leur travail, la richesse et la beauté que ce mouvement leur insuffle m’inspirent.
Les poupées de chiffon , Nadia Boehlen, 2019, Éditions Slatkine, 128 p.