AMNESTY: Les personnes déplacées sont celles qui souffrent le plus gravement de la guerre. Quelles sont leurs conditions de vie ?
Shabia Mantoo: Elles mènent une lutte quotidienne pour avoir accès à de la nourriture et éviter la violence et les bombardements. Depuis le début du conflit, quatre millions de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile. Un quart d’entre elles ont tenté de rentrer, pour découvrir que leur habitation avait été détruite. Beaucoup ont dû fuir à maintes reprises d’une région à l’autre. Les personnes déplacées depuis un an ont généralement épuisé toutes leurs économies et dépendent alors de l’aide de leur communauté. Certaines n’ont parfois aucun toit et sont exposées aux intempéries.
Pourquoi très peu de Yéménites quittent le pays ?
La majorité n’a d’autre choix que de rester au Yémen. La plupart n’ont même pas les moyens de traverser le pays. De plus, il est presque impossible de quitter le pays en raison des affrontements aux frontières. Jusqu’à présent, seules 65'000 personnes sont parvenues à fuir dans les États voisins ou dans d’autres pays du Moyen-Orient.
Comment le travail du HCR a-t-il évolué avec l’intensification des affrontements ?
Nous sommes présents dans le pays depuis une trentaine d’années. Avant le conflit, nous répondions aux besoins des personnes qui fuyaient la Corne de l’Afrique pour se réfugier au Yémen. Depuis quatre ans, la migration est surtout un phénomène interne. Nous répondons aux besoins des Yéménites déplacés au sein de leur propre pays. Notre longue présence dans le pays nous a permis de mettre en place des programmes humanitaires dans chaque gouvernorat. Notre travail au Yémen est devenu extrêmement difficile, le conflit a fait plonger le pays dans l’une des plus graves crises humanitaires. Nous négocions sans cesse avec les différents camps pour obtenir un accès humanitaire sans entrave, ainsi que pour assurer la protection de notre personnel et de nos infrastructures.
Golfe de douleur
Aussi étrange que cela puisse paraître, des dizaines de milliers de migrant·e·s et de réfugié·e·s sont arrivé·e·s et continuent d’arriver au Yémen chaque année, malgré la guerre, en provenance principalement de pays de la Corne de l’Afrique comme la Somalie, l’Éthiopie et l’Érythrée. Le Yémen a toujours été un pays de transit et d’accueil en raison de sa situation géographique dans le golfe d’Aden. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 60'000 personnes sont arrivées au Yémen en 2017. Beaucoup d’entre elles souhaitent se rendre ensuite aux Émirats arabes unis ou poursuivre leur périple vers d’autres États. Mais compte tenu de la situation au Yémen, de nombreuses personnes réfugiées restent bloquées dans le pays.
D’année en année, les conditions d’accueil dans le pays se sont détériorées. «Beaucoup n’ont absolument aucune idée de la situation au Yémen», explique Shabia Mantoo, du HCR. «Pour y remédier, nous avons lancé en 2017 une campagne d’information dans les principaux pays d’origine des personnes cherchant refuge au Yémen.» Toutefois, de nombreuses personnes traversent encore la mer par le golfe d’Aden, à bord de bateaux de fortune surpeuplés. Le conflit favorise également les réseaux de passeurs. Les réfugié·e·s qui parviennent néanmoins à rejoindre le Yémen sont souvent arrêté·e·s et détenu·e·s dans des camps, comme l’ont signalé diverses organisations humanitaires et l’Organisation internationale pour les migrations. L’extorsion, les demandes de rançon, l’esclavage et la violence sexuelle sont quotidiens. De violents renvois sont également pratiqués, parfois par ces mêmes passeurs qui amènent les réfugié·e·s dans le pays. Certains Yéménites font le trajet inverse, quittant la péninsule arabique pour rejoindre l’Afrique. Selon le HCR, des dizaines de milliers de Yéménites ont fui leur pays pour rejoindre Djibouti, la Somalie et l’Éthiopie. (mre)