AMNESTY > Peut-on espérer, en ce début d’année 2019, que le Yémen retrouve la paix ?
< Radhya al-Mutawakel : Les chances sont meilleures qu’elles ne l’ont jamais été depuis le début de la guerre. Durant les deux mois qui ont suivi le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, la communauté internationale a réussi à mettre tous les belligérants autour d’une table en Suède, alors même que la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis répétaient depuis des années qu’un dialogue entre houthis et Saoudiens était impossible. Mais l’ouverture est ténue et si nous ne saisissons pas cette chance, nous devrons tout reprendre à zéro. Il faut absolument maintenir la pression sur les belligérants car un échec des négociations entraînerait une nouvelle flambée des hostilités. La paix au Yémen reste en tout temps un horizon possible, mais nous n’en avions jamais été aussi proches depuis 2015.
> Les négociations de paix en Suède n’ont pourtant pas permis d’obtenir la réouverture de l’aéroport de Sanaa.
< Depuis que cet aéroport a été fermé par les Saoudiens en 2016, aucune tentative de le rouvrir n’a abouti, et ce ne fut malheureusement pas non plus le cas en Suède. Dans cette guerre, aucun des acteurs du conflit ne se soucie le moins du monde de ce qui arrive aux civils. Ce n’est qu’en usant de moyens de pression qu’on peut espérer les faire réagir. Je mise donc sur un second cycle de négociations.
> Quelles sont les conséquences de la fermeture de l’aéroport pour les habitant·e·s de Sanaa et de ses environs ?
< Il faut dix heures de voiture pour atteindre l’aéroport le plus proche, celui d’Aden, voire quinze heures pour celui de Seiyun. Le trajet en bus dure bien plus longtemps. Les premières victimes sont les personnes trop malades pour supporter ce voyage. Avec Mwatana, nous avons documenté de nombreux cas de personnes décédées faute de soins, impossibles à prodiguer sur place. Celles et ceux qui craignent d’être fouillés et arrêtés à l’un des innombrables check-points pâtissent également de la fermeture de l’aéroport.
> Votre organisation a documenté des atteintes aux droits humains également à Hodeida. Comment parvient-on à mener des enquêtes dans ces conditions ?
< C’est devenu très difficile et surtout très dangereux. Un de nos collaborateurs a été récemment enlevé et n’a retrouvé la liberté que 45 jours plus tard. Mon mari et moi avons été retenus pendant des heures à l’aéroport de Seiyun sur les ordres d’officiers saoudiens qui voient d’un mauvais oeil que Mwatana continue ses investigations en temps de guerre. Il n’est pas facile d’obtenir des informations détaillées, mais nous avons nos sources.
< Une des raisons pour laquelle la guerre se poursuit depuis bientôt quatre ans est la faiblesse du mandat du médiateur de l’ONU. Que pensez-vous du nouvel envoyé spécial Martin Griffiths ?
> Il est compétent, clair, expérimenté. Griffiths a réussi à gagner la confiance de toutes les parties. J’espère que la communauté internationale va continuer à le soutenir. Car jusqu’à présent, chacun interprète les négociations de Suède en fonction de ses propres intérêts. des armes et aux intérêts politiques, la vérité n’a aucune importance. Si la volonté était présente, il y a longtemps que cette guerre aurait pu être arrêtée.
«La guerre au Yémen n’est pas une guerre oubliée, c’est une guerre ignorée. La raison en est notamment le commerce des armes et ses bénéfices florissants : voilà pourquoi la Grande- Bretagne, les États-Unis et la France soutiennent aveuglément l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.»
< Comment expliquez-vous que le monde s’intéresse si peu aux souffrances de votre pays ?
> La guerre au Yémen n’est pas une guerre oubliée, c’est une guerre ignorée. La raison en est notamment le commerce des armes et ses bénéfices florissants : voilà pourquoi la Grande- Bretagne, les États-Unis et la France soutiennent aveuglément l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Pourtant, depuis le meurtre de Khashoggi, quelque chose a changé : les Saoudiens ont commencé à réagir aux pressions, rendant possibles les récentes avancées au Yémen. Il faut saisir cette chance.