« C’est quoi être libre ? C’est être réuni avec les gens qu’on aime », affirme en souriant l’un des protagonistes d’« Opération Papyrus » à qui l’on vient d’octroyer un permis B. Après de longues années de séparation, il pourra enfin célébrer les fêtes de fin d’année avec sa famille. Une phrase qui sonne comme une piqûre de rappel et « nous fait réfléchir sur nos vies », souligne Béatrice Guelpa, la co-réalisatrice avec Juan Lozano de ce documentaire projeté en avant-première au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIDH). Un bel écho pour le film qui tire son nom de l’opération politique qu’il dépeint. Pendant près de deux ans, les réalisateurs ont suivi le fameux programme de régularisation de sans-papiers lancé à Genève par les autorités. De février 2017 à décembre 2018, le canton du bout du lac a en effet proposé aux personnes « clandestines » intégrées et résidentes depuis dix ans de régulariser leur situation. Un « moment inédit dans l’histoire de la Suisse », observe Béatrice Guelpa, qui a impliqué beaucoup d’acteurs (sans-papiers, politiques, associations, syndicats, employeurs). Si l’aspect administratif tient un rôle majeur dans le processus, on est particulièrement touché par la peur, l’espoir, les doutes des protagonistes. « Ce sont de gros enjeux de vie qui impliquent des risques, comme celui de se faire expulser de Suisse si sa demande n’est pas acceptée », rappelle la réalisatrice genevoise d’une voix posée, presque timide.
C’est dans le populaire quartier de la Servette (GE) qu’est née et a grandi celle qui, après des études de Sciences politiques à Paris et un poste au journal « La Suisse », choisira la Russie et la Chine comme terrains d’investigation. « Ce qui me plaisait à l’époque, c’était d’être là où l’histoire s’écrit ». Après avoir vécu le coup d’État de Boris Eltsine et la guerre de Tchétchénie, la Chine trouve, deux ans durant, les faveurs de la journaliste partie observer « comment le communisme à la russe s’y est exporté ». Les contrées helvétiques la rappellent finalement, elle rejoint alors le magazine « L’Hebdo », pour le compte duquel elle se rend au Kosovo, en Afghanistan ou encore en Algérie. Son travail est récompensé par le Prix Dumur, soit le plus prestigieux des prix journalistiques en Suisse romande.
En 2005 sort « L’Accord », un documentaire réalisé avec le cinéaste Nicolas Wadimoff, qui se déroule sur le territoire israélo-palestinien. Un tournant dans la carrière de la, désormais, réalisatrice pour qui « la force de l’image est inégalable ». Elle n’a de cesse depuis lors de retourner dans cette région, « La vie me ramène toujours à cet endroit. » Plus particulièrement à Gaza où elle conserve des attaches et où l’y pousse également l’urgence de témoigner d’une situation « désespérante et qui ne cesse de se détériorer ».
Lorsqu’on lui demande si elle voit un fil rouge dans son travail, Béatrice répond sans hésiter l’Humain. « Chaque personne a une histoire à raconter. Que les gens soient en souffrance ou en joie, on apprend toujours quelque chose. Il n’y a pas de hiérarchies entre les problèmes. Et, poursuit-elle, les passages m’intéressent ». En témoignent « Opération Papyrus » et ses clandestins qui passent « de l’ombre à la lumière » une fois leurs papiers obtenus. Ainsi que deux de ses ouvrages : « Sorties », qui suit le parcours de cinq détenus en phase de réinsertion, et « D’une foi à l’autre », dans lequel la journaliste dresse le portrait de vingt personnes ayant changé de religion.
Alors que l’entretien touche à sa fin, deux festivaliers nous interrompent pour féliciter la réalisatrice. « Nous avons été très émus », confessent-ils. Pari réussi pour ce documentaire qui, comme l’espère Béatrice Guelpa, tracera sa voie jusqu’en Suisse alémanique, actuellement hermétique à tout projet similaire de régularisation des sans-papiers.