Pamela Ohene-Nyako, historienne à l'Université de Genève et activiste afro-féministe, a lancé Afrolitt' en 2016. © Ashley Moponda
Pamela Ohene-Nyako, historienne à l'Université de Genève et activiste afro-féministe, a lancé Afrolitt' en 2016. © Ashley Moponda

MAGAZINE AMNESTY Interview de Pamela Ohene-Nyako Se représenter par la littérature

Par Emilie Mathys - Article paru dans le magazine AMNESTY n° 97, Juin 2019
Plateforme inédite en Suisse romande, Afrolitt’ promeut la littérature issue de l’Afrique subsaharienne et sa diaspora pour interroger identités et vécus au travers d’événements littéraires, de groupes de lecture ou encore d’une websérie. Rencontre avec sa fondatrice Pamela Ohene-Nyako, 28 ans, historienne à l’Université de Genève et activiste afroféministe
> AMNESTY : Pourquoi s’être lancée dans l’aventure d’Afrolitt’ ?

< Pamela Ohene-Nyako : L’idée, lorsque la plateforme a été lancée en 2016, était d’utiliser la littérature comme moyen d’introspection et de questionnement sur notre vécu, mais aussi comme un moyen de se saisir de l’histoire. Mais pas comme un outil pour accéder à des contrées lointaines ou « voyager ».

La découverte, à la vingtaine, de la littérature noire a été pour moi une forme de thérapie. L’espace dans lequel nous évoluons en tant que personnes noires est, en termes de représentations, de narration, d’éducation, excluant. Ne pas se sentir représenté·e·s joue un rôle sur le développement personnel. En revanche, les récits d’auteur·e·s noir·e·s validaient mon expérience, je me suis sentie moins isolée. Ils m’ont aussi permis de réaliser à quel point cette invisibilisation des « minorités » relevait du collectif, donc du politique.

> Votre plateforme est-elle aussi un moyen de rendre plus visible la littérature noire ?

< Oui, même si ce n’était pas l’objectif premier. Le problème n’est pas que ce genre de littérature n’existe pas, mais c’est de savoir où la trouver. L’afrolittérature n’est pas du tout exploitée comme ressource dans le cursus scolaire, ni même à l’Université. C’est le cas pour toutes les œuvres produites par des minorités, je pense notamment aux auteures femmes. C’est comme s’il y avait une forme de littérature qui serait universelle et concernerait tout le monde alors que non, toutes les littératures sont ancrées.

> Les livres peuvent-ils changer notre regard sur l’Afrique et les personnes afro-descendantes ?

< Tout dépend du type de récit et comment il est abordé. « Le racisme est un problème de Blancs » de Reni Eddo-Lodge fait l’effet d’une claque. Il diffère de nombreux ouvrages qui traitent de la migration, une thématique fonctionnant actuellement très bien, mais qui tendent très souvent à « exoticiser » l’Autre. C’est là que les auteur·e·s se doivent d’être subtil·e·s : réussir à donner une voix aux minorités tout en évitant de renforcer des clichés négatifs déjà très présents dans le contexte occidental.

> Comment choisissez-vous les thématiques traitées ?

< Je ne suis pas l’actualité littéraire, mais j’essaie de proposer des récits qui font écho à l’actualité du moment. La rencontre du mois d’avril, par exemple, s’est intéressée à « Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem » de l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, qui porte sur la sorcellerie et l’émancipation de la femme. Deux thèmes très actuels. De manière générale, mon choix se porte sur des récits s’articulant autour de personnages complexes et de réflexions nuancées qui vont au-delà des clichés.

> Des recommandations de lecture ?

< Je conseille vivement Octavia Butler et Nnedi Okorafor pour ce qui est de l’afrofuturisme, un courant littéraire encore trop méconnu qui explore l’intersection de la culture africaine et afro-américaine avec des éléments de science-fiction, de spéculation et de traditions. Dans un autre genre, Augustown du poète et romancier jamaïcain Kei Miller ou encore The Hundred Wells of Salaga de l’auteure ghanéenne Ayesha Harruna Attah.

 

Le programme des rencontres et des événements sur www.afrolitt.com