Nous pouvons apprendre d’autres catastrophes sanitaires pour faire face à la pandémie de coronavirus. Comme mieux se protéger et respecter les règles d’hygiène, par exemple. ©Shutterstock/ Cat Box
Nous pouvons apprendre d’autres catastrophes sanitaires pour faire face à la pandémie de coronavirus. Comme mieux se protéger et respecter les règles d’hygiène, par exemple. ©Shutterstock/ Cat Box

MAGAZINE AMNESTY Les droits humains au défi du coronavirus Un virus a changé la face du monde

Par Patrick Walder, responsable de campagne sécurité et droits humains - Article paru dans le magazine AMNESTY n°101, juin 2020
Alors que la pandémie de COVID-19 est loin d’être terminée, la planète se prépare au pire. Comme nous l’ont appris des bouleversements analogues dans l’histoire récente, les décisions que nous prenons aujourd’hui modifieront durablement la face du monde. Les droits humains sont nés à la faveur d’une crise mondiale, ils doivent aujourd’hui être au centre de toutes les mesures de lutte contre le fléau.

Chacun de nous a des raisons d’avoir peur. Impossible de savoir pour l’instant combien de temps durera cette crise, ni où elle nous mènera. Les prophéties catastrophiques ne manquent pas. On compare le Covid-19 à la grippe espagnole de 1919 et la crise économique qui l’accompagne à la Grande Dépression des années 1930. De telles comparaisons laissent craindre des répercussions sur nos structures sociales et nos institutions politiques. Si le virus nous concerne tou·te·s, nous sommes loin d’être égaux face à lui.

Il y a cependant beaucoup de raisons d’espérer. À nous de prendre les bonnes décisions, au-jourd’hui. La situation pourrait être bien pire. Pensons à la vague de solidarité et d’altruisme qu’a suscité cette pandémie. Des domaines négligés comme celui des soins à la personne ont soudainement été mis en pleine lumière. Nous pouvons bénéficier des leçons apprises lors de deux événements récents au cours desquels les droits humains ont été malmenés : les at-taques terroristes du 11 septembre 2001 et la crise financière de 2008.

Pas de sécurité sans respect des droits humains

La réaction des États aux attaques du 11 septembre nous a entraînés dans une interminable « guerre contre la terreur » à l’échelle mondiale. Le monde n’en est pas devenu plus sûr, bien au contraire. On a vu proliférer les conflits, la torture, les actes terroristes. Les budgets des armées et des services secrets ont explosé, au détriment des moyens dévolus au développement, à la justice sociale et à la santé : obsédé·e·s par la menace terroriste, nous avons perdu de vue les dangers qui se rappellent violemment à nous aujourd’hui.  

La débâcle financière de 2008 a elle aussi généré une réponse qui pèse encore très lourd à l’heure actuelle. Les États ont sauvé les banques de la faillite à coups de milliards, pour plonger dans un abîme de dettes et se voir contraints de démanteler leur sécurité sociale et leur système de santé. En foulant aux pieds les droits économiques et sociaux de très nombreux citoyen·ne·s, les politiques d’austérité ont réveillé le spectre du déclassement, attisant le nationalisme, la xénophobie et le populisme. Les pays particulièrement touchés par la crise comme l’Italie et l’Espagne sont aujourd’hui confrontés à une pénurie de lits hospitaliers et manquent de ressources pour lutter contre le Covid-19. Pour ne rien dire des pays du Sud.

Comment les droits humains peuvent nous protéger

Nous ne pouvons pas nous permettre d’affronter le Covid-19 sans prendre en compte les droits humains. Ils ont été proclamés à la faveur d’une crise, et sont eux-mêmes une réponse aux temps de crise. Ils ne nous livrent certes pas de mode d’emploi pour concevoir nos politiques en matière de santé et d’économie. Mais ils fournissent des règles, des principes et des points d’appui qui ont le pouvoir de sauver des vies. Et ils nous aident à ne pas laisser de côté les personnes défavorisées et discriminées.

N’oublions pas que la pandémie a débuté avec une violation du droit à la liberté d’expression, lorsque les médecins qui avaient les premiers donné l’alerte sur la maladie ont été censurés et persécutés par les autorités chinoises. D’autres États ont restreint les droits humains en supprimant notamment la liberté de rassemblement, même si la plupart des pays démocratiques ont promis de la rétablir « dès que possible ».

À chaque fois, l’importance des droits humains n’en apparaît que de façon plus criante. Prenons la liberté d’opinion, qui inclut le droit d’accéder à l’information. Après avoir réagi de manière problématique en censurant les lanceurs d’alerte, la Chine a effectué un revirement et partagé ses connaissances sur le nouveau virus, afin que les chercheurs du monde entier puissent se lancer dans l’élaboration d’un vaccin. Pour juguler la menace, les gens ont besoin non seulement des données de la science, mais aussi de médias auxquels ils peuvent faire confiance. Car les fake news nous conduisent tout droit à l’abîme.

En première ligne pour combattre la pandémie, on trouve les professions médicales ainsi que le vaste domaine des soins à la personne, qui va de la garde des enfants à la prise en charge des personnes âgées, des tâches très largement assumées par des femmes, peu ou pas rémunérées. Il a fallu la crise du Covid-19 pour qu’un large public réalise à quel point ces activités sont vitales pour l’ensemble du système. Il semblerait qu’on entende enfin les voix qui revendiquent depuis longtemps un salaire équitable et de meilleures conditions de travail pour tous les métiers du care.

La solidarité qui habite notre société se manifeste de façon impressionnante par la propension des gens à renoncer à leur liberté individuelle et à rester chez eux pour protéger leurs concitoyen·ne·s âgé·e·s et vulnérables. Des centaines de personnes se sont spontanément proposées pour aider leurs voisin·e·s. Beaucoup de choses hier impensables sont devenues possibles. Un ralentissement du rythme, une diminution de la consommation, de la mobilité, des activités économiques. Une vie dans laquelle la santé et les relations humaines redeviennent les valeurs cardinales.

Et il est rapidement apparu que des démocraties libérales comme la Suisse et l’Allemagne s’en sortaient mieux que les pays gouvernés par des populistes tels que Trump, Bolsonaro ou Johnson. Même des mesures de surveillance comme l’application suisse de traçage offrent des garanties en matière de transparence, de consentement des utilisateurs et de protection des données. Sans ces principes, fondés sur les droits humains, des telles mesures ne pourraient inspirer la confiance et susciteraient le rejet des populations.

Des alternatives possibles

En cette période troublée, ce sont principalement les États qui ont été et restent à la manœuvre — ces mêmes États qu’il s’agissait il y a peu de soumettre à une cure d’amaigrissement, et que la concurrence fiscale à l’échelle de la planète avait tellement affaiblis qu’ils peinaient à remplir leur mission.

Presque tous ont réagi par la fermeture des frontières. La mondialisation semble mise entre parenthèses. Le droit d’asile est suspendu. Pourtant, nous finirons bien par nous apercevoir que le virus ne s’arrête pas aux frontières et que la coopération internationale est indispensable pour en venir à bout. Que nous devons soutenir les pays les plus pauvres et les régions en guerre, afin qu’elles puissent elles aussi se relever indemnes de la pandémie. Nous ne pourrons pas réussir sans eux, du moins aussi longtemps qu’il n’y aura pas de vaccin.

Nous devrions profiter de ce temps d’arrêt pour nous poser des questions essentielles. S’il est possible de débrancher d’un coup notre économie pour la faire redémarrer ensuite, pourquoi ne pourrions-nous pas imposer des règles strictes aux multinationales pour qu’elles respectent les droits humains ? Pourquoi ne pas développer une économie respectueuse de l’environnement et capable d’atteindre les objectifs climatiques ? Une société qui ne laisse personne de côté ?

Nous avons des raisons d’avoir peur, mais aussi des raisons d’espérer. S’il faut maintenant prendre des décisions qui engagent l’avenir, nous voulons avoir notre mot à dire, et ce mot, c’est solidarité.