Manon Schick (à gauche) est remplacée à la tête d’Amnesty Suisse par Alexandra Karle, qui connaît bien l’organisation puisqu’elle y a occupé le poste de directrice de la communication. ©AI
Manon Schick (à gauche) est remplacée à la tête d’Amnesty Suisse par Alexandra Karle, qui connaît bien l’organisation puisqu’elle y a occupé le poste de directrice de la communication. ©AI

MAGAZINE AMNESTY Amnesty Suisse «Une chance extraordinaire»

Par Carole Scheidegger - Article paru dans le magazine AMNESTY n°101, juin 2020
Début juin, Manon Schick quittait ses fonctions après presque dix ans en tant que directrice de la Section suisse d'Amnesty International. Alexandra Karle en prend aujourd’hui la tête. Interview croisée de deux militantes convaincues, qui évoquent autant le passé que l’avenir.
< AMNESTY Le changement a eu lieu en plein milieu de la crise du coronavirus – est-ce une bonne idée ?

> Manon Schick Le Comité exécutif a choisi Alexandra Karle en janvier 2020 et s'est mis d'accord sur le changement de direction pour le début du mois de juin avant le début de la crise. Je dois admettre que cela aurait été plus compliqué avec une personne de l’extérieur. Mais la meilleure candidate s’est révélé être une personne interne, déjà membre de la direction. Je ne doute donc pas que la transmission se passera bien, même en plein milieu d’une crise sanitaire et des droits humains.

> Alexandra Karle Je pense que nous aurions toutes les deux imaginé une situation plus sereine. Il aurait bien sûr été plus agréable de se voir personnellement pendant cette période de transition. Mais je connais bien l’organisation et je suis également très impliquée au niveau international. En tant que responsable de la communication, j'ai également beaucoup travaillé ces dernières semaines sur la crise du coronavirus et des droits humains.

< Comment vous motivez-vous chaque jour dans votre travail, parfois difficile, en faveur des droits humains ?

> M.S. Cela a été une chance extraordinaire de travailler à un tel poste. J’ai pu agir, je n’ai pas eu à me contenter de regarder en silence. Bien sûr, il y a eu des revers et des moments incroyablement tristes. Mais il y a aussi eu de nombreux moments heureux, où nous avons vu les droits humains se renforcer. Les droits des homosexuels ont été consolidés, les jeunes se sont mobilisés contre le changement climatique, la grève des femmes a connu une ampleur sans précédent : ce sont autant d’événements très motivants.

A.K. J'ai par le passé travaillé comme journaliste, ce qui m’a amenée à faire des reportages dans des régions en guerre et en crise. Je peux aujourd’hui contribuer activement à améliorer le monde. Je suis une optimiste convaincue, sans pour autant fermer les yeux sur tous les défis actuels. Mais les nombreux petits succès que nous remportons me motivent : par exemple, lorsque des personnes sont libérées de prison ou ne sont plus poursuivies en justice. Même pendant la crise du coronavirus, la solidarité de voisinage, par exemple, montre que les gens ont de l’empathie. La crise révèle aussi notre part d’humanité.

< Alexandra Karle, quelles sont vos priorités ?

> A.K. Premièrement, nous voulons traverser la crise aussi indemnes que possible. Toutefois, je me réjouis de l'engagement dont ont fait preuve les employés et les membres actifs, même pendant la période de confinement. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette crise nous fait également avancer dans certains domaines, comme l'activisme numérique. Á l’avenir, Amnesty International devra susciter l'intérêt d'un plus grand nombre de personnes, des jeunes notamment, en recourant aux outils numériques. Et en même temps, nous voulons que les militantes et militants de longue date restent avec nous. Je ne prévois pas de changement brusque de direction. Au niveau international et national, comme tous les cinq ans, le moment est venu d'élaborer une nouvelle stratégie. Nous y inclurons de nouveaux sujets, tels que la crise climatique ou les nouvelles technologies.

< Amnesty peut-elle vraiment faire une différence dans le monde ?

> M.S. Le traité sur le commerce des armes (TCA) montre que la lutte pour les droits humains est un combat à très long terme. Un collègue du Secrétariat international à Londres, Brian Wood, a eu l'idée d'un traité de contrôle du commerce des armes il y a près de 30 ans. Contre toute attente, Amnesty, en collaboration avec d'autres organisations, a fait avancer ce projet et les Nations unies ont finalement adopté cet accord. Amnesty peut influencer le monde, autant à l'échelle planétaire qu’à l’échelle de la vie d'une seule personne.

A.K. Un autre exemple est celui des droits des femmes. La section irlandaise d’Amnesty s'est battue pour que les femmes aient accès à l’avortement, ce qui est désormais possible. En Suisse, nous avons mené l'année dernière une enquête sur le nombre de femmes touchées par les violences sexuelles. L'enquête a donné lieu à un débat de société.  Il faut maintenant espérer que le droit pénal sexuel sera également adapté. Nous avons cette capacité d’initier des débats sociétaux pour produire du changement !

< Manon Schick, avez-vous un conseil à donner à Alexandra Karle ?

> Faire preuve de patience ! (rires) J'ai moi-même dû apprendre à être plus patiente. Je sais qu'Alexandra est persévérante, passionnée et compétente – mais quand on défend les droits humains, il faut aussi de la patience. Nous voulons toujours que les choses avancent plus vite qu'elles ne le font dans la réalité. L'initiative pour la responsabilité des entreprises en est un bon exemple. Quand je suis devenue directrice, on en parlait déjà; il y a eu une pétition, puis l'initiative. Nous aurions dû voter dessus il y a trois ans déjà.

< Où en êtes-vous aujourd’hui professionnellement ?

> M.S. Je vais tout d'abord prendre des vacances – pour autant que cela est possible avec la pandémie. J'irai à la montagne, en Suisse et réfléchirai la manière de poursuivre ma carrière. Je suis maintenant à peu près à mi-chemin de ma vie professionnelle. Une possibilité serait de retourner là d'où je viens : le journalisme et la communication. Pour le moment, c'est une période de crise, nous verrons. À Amnesty, j'ai acquis des compétences que je n'avais pas auparavant : diriger une équipe, motiver les gens, montrer une direction. Je pourrai les utiliser dans un autre contexte.

< Que souhaitez-vous dire aux militant·e·s d'Amnesty ?

> M.S. Restez nous fidèles !

A.K. Je voulais dire la même chose !

M.S. Nous avons tellement de chance avec Amnesty, nous pouvons compter sur des soutiens et des militants extrêmement loyaux. Certaines personnes sont avec nous depuis des décennies ; Amnesty fait partie de leur vie. Elles donnent leur temps, leur argent ou leur passion. Amnesty ne serait rien sans ces personnes.

A.K. Je suis très impressionnée par l'énorme engagement des militants qui donnent de leur temps. Je connais beaucoup d'entre eux en Suisse alémanique. Je veux les connaître encore mieux en Suisse romande ou au Tessin. C'est formidable que tant de personnes travaillent pour les droits humains avec Amnesty. Nous pouvons en être fières.