> AMNESTY Comment est née l’idée de cet ouvrage ?
< Alcante : Lors d’un voyage avec mes parents au Japon dans les années huitante, nous avions visité le mémorial de la bombe à Hiroshima. J’ai été à la fois horrifié et fasciné par cette excursion et n’ai, depuis, cessé de rassembler de la documentation à ce sujet. Fin 2015, j’ai posé un premier synopsis. Laurent Frédéric Bollée, un ami scénariste, s’est joint à moi, puis nous avons recruté le dessinateur canadien Denis Rodier. 2020 approchant, il aurait été dommage de manquer l’occasion du 75ème anniversaire de l’explosion.
> Les informations, parfois extrêmement précises, ont-elles été faciles à obtenir ?
< Globalement, toutes les informations ont été déclassifiées et nous n’avons pas rencontré de problèmes. Nous nous sommes essentiellement basés sur l’imposante littérature existante qui fourmille de citations et de reproductions de documents officiels. La plupart des ouvrages de référence sont toutefois très techniques et ils nous ont demandé un gros effort de vulgarisation.
> Vous avez opté pour Leó Szilárd, méconnu du grand public, comme personnage principal. Pourquoi ce choix ?
< Szilárd est un personnage fascinant qui s’est vite imposé à nous, car présent à toutes les étapes de l’histoire. C’est le premier savant qui, dans les années 30, comprend que la fission atomique mène à la réaction en chaîne et à la bombe. C’est également lui qui est à l’origine du lancement du projet de bombe américaine. Paradoxalement, c’est un pacifiste qui imagine la bombe uniquement comme une arme de dissuasion qui ne devrait jamais être utilisée contre l’humain. En ce sens, il a été le premier partisan d’un instrument de contrôle international sur le nucléaire. Des positions pacifistes qui ne plaisaient pas beaucoup à l’époque, ce qui expliquerait pourquoi le physicien est passé à la trappe de l’histoire
> Les chercheurs qui ont travaillé sur ce projet ont parfois pris des risques insensés…
< En effet, en 1942 ils provoquent la première réaction en chaîne en plein centre de Chicago sans être totalement certains de pouvoir la maîtriser et sans se protéger contre les radiations. La course à la bombe a imposé des contraintes de temps énormes et la sécurité, notamment l’évaluation des risques en matière de radiations, a quelque peu été mise de côté pour pouvoir avancer plus vite.
> Quid de l’argument voulant que la bombe atomique ait mis fin à une guerre qui se serait certainement prolongée en faisant encore plus de victimes ?
< C’est, à mon avis, un argument largement surévalué. Des rapports internes de l’armée américaine estiment qu’un débarquement au Japon aurait entrainé entre 20 et 50 mille morts américains, soit très loin du chiffre d’un million qui a parfois été avancé. Sans compter qu’un tel débarquement n’aurait pas même été nécessaire : un simple blocus aurait fini par faire capituler une île déjà exsangue.
> La bombe atomique n’a plus été utilisée militairement depuis 1945. Sert-elle encore à quelque chose ?
< Parler de la bombe en termes d’utilité est un peu paradoxal. Elle reste une menace extrême, c’est indéniable. Il est effrayant de penser qu’elle pourrait un jour tomber entre les mains d’un dictateur peu scrupuleux. Je pense que, comme Szilárd le préconisait déjà à l’époque, un contrôle international est plus que jamais indispensable et constitue la seule solution raisonnable.