« Tout est possible à condition d’avoir le feu » résume Natasha Stegmann à l’issue de notre entretien digital, pandémie oblige. On la croit sur parole, tandis que ses multiples projets, ses luttes et ses réflexions remplissent notre cahier de notes. La Fribourgeoise de 32 ans confesse avoir toujours eu l’âme « rebelle », et détester l’injustice plus que tout. De quoi attiser la flamme intérieure, sans aucun doute.
Élevée par une mère célibataire originaire de Singapour, Natasha prend vite conscience de ce que signifie grandir dans la précarité. Les petits jobs s’enchaînent dès l’âge de douze ans et les bourses de soutien sont bienvenues. « Par la force des choses, j’ai été obligée d’être militante pour survivre » souligne la jeune femme. Elle s’engage d’abord dans l’altermondialisme à 15 ans avant de bifurquer vers le féminisme, à l’époque où le terme frise encore l’insulte. « On nous accusait de vouloir dominer le monde ; en soi, quel est le problème ? » rigole celle qui aujourd’hui se revendique d’un féminisme intersectionnel [1]. « En tant que personne queer et racisée, j’aspire, pour moi-même autant que pour les autres, à un monde égalitaire, tout simplement ». Lorsque l’on s’enquiert des lectures qui ont forgé son activisme, la réponse claque : « Il existe plein d’autres moyens que les livres pour s’instruire. Je n’ai pas besoin d’être conditionnée par des lectures, en majorité d’écrivaines blanches, pour m’apprendre à être féministe, analyser et comprendre ma condition de femme dans l’univers ». Articles de presse ou scientifiques, littérature grise [2], réseaux sociaux, sur lesquels la militante est très active, et, surtout, les rencontres nourrissent les combats de Natasha. « J’ai toujours été entourée de personnes avec qui j’ai noué des liens très profonds. C’est de cette manière qu’on apprend comment les autres vivent et comment se mettre à leur place. Avec de la curiosité et de l’ouverture, on s’instruit et on s’éduque tous les jours au contact de l’autre ».
C’est au fil des rencontres, justement, et suite au partage sur les réseaux sociaux de son agression que Natasha Stegmann co-fonde en 2015 Mille Sept Sans, une association qui sensibilise et lutte contre le harcèlement de rue. « À l’époque on ne parlait pas de ça, c’était considéré comme une affaire privée. J’ai reçu énormément de messages de femmes qui avait vécu la même expérience, ça nous a permis de mettre un mot dessus ». Si la problématique est, depuis lors, devenue une lutte phare des mouvements féministes, le sujet n’est de loin pas réglé et le site toujours très actif. Après les nombreux témoignages reçus, l’association est désormais dans le concret avec divers projets de sensibilisation et d’éducation (« des piliers par lesquels le changement en profondeur pourra se faire ») dans les milieux de la nuit et scolaire, notamment. Côté professionnel, l’activiste de terrain a été engagée fin 2020 par l’EPFL pour élaborer un guide pratique sur le langage inclusif et la communication visuelle non sexiste. Côté politique, et malgré une lenteur des institutions qu’elle déplore, son choix de parti s’est porté sur les Verts fribourgeois, une « évidence ». « J’ai été élevée dans la spiritualité taoïste, j’ai toujours été très proche de la nature, j’adore les animaux. Je suis aussi vegan depuis 7 ans ». Natasha a d’ailleurs adopté une petite chienne, « Vreni », en 2016. Un soutien émotionnel au milieu de ce « volcan qui gronde ». Son activité de DJ lui permet aussi de lâcher prise lorsque la lutte est trop prenante. Si Natasha ressent parfois de la frustration et de la tristesse, de la colère, jamais (« j’évite toute forme de violence »). « C’est aussi pour cette raison que je n’aime pas les débats. Chacun·e a la liberté de ses opinions tant qu’ils ne sont pas des appels à la haine. Je ne cherche pas à générer des discussions, mais du changement ». À bonne entendeuse.
[1] Un terme désignant la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société (genre, race, classe sociale, orientation sexuelle, identité sexuelle, handicap…).
[2] Document produit à l’intention d’un public restreint par les instances du gouvernement, de l’enseignement et la recherche publique, du commerce et de l’industrie, en marge des circuits de l’édition et des dispositifs de contrôle bibliographiques.