© Edgar Romero
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MAGAZINE AMNESTY 60 ans d'Amnesty International: la justice au cœur 60 ans, 6 victoires

Activistes pacifistes réprimé·e·s, blogueurs et blogueuses torturé·e·s, promulgation de lois discriminatoires : chaque année, des libertés fondamentales sont menacées et des personnes risquent leur vie pour avoir exprimé leur opinion. Mais la mobilisation d’Amnesty International et de ses membres montre que le changement est possible. Retour sur de récentes victoires en faveur des droits humains.

1. Un réfugié engagé pour les siens

Abdul Aziz Muhamat   © Jason Garman/AI Abdul Aziz Muhamat © Jason Garman/AI

Abdul Aziz Muhamat a seulement 19 ans lorsqu’il quitte le Soudan en 2013 pour fuir la guerre. Malheureusement, son bateau se fait intercepter avant de parvenir à sa destination finale, l’Australie. Les autorités l’envoient dans un centre pour migrant·e·s à Manus, une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Là-bas, il se transforme en lanceur d’alerte, utilisant son téléphone portable pour dénoncer via des messages vocaux les mauvaises conditions de détention du camp et les conséquences désastreuses de la politique de migration offshore australienne. Les médias commencent à publier son histoire, tandis qu’Amnesty International lance une campagne en ligne pour exiger sa libération.

En 2019, un jury composé d’ONG, dont Amnesty International, attribue à Abdul le Prix Martin Ennals, qui récompense chaque année une personne s’engageant en faveur des droits humains. Le jeune homme profite de son voyage pour demander l’asile en Suisse. Il vit désormais à Genève et apporte son soutien aux personnes en fuite. Il a notamment participé à la campagne Evacuate Now !, qui exige un meilleur accueil des réfugié·e·s en Europe.

2. Les jeunes mamans de retour À l'école

Sierra Leone © AI Sierra Leone

En 2019, la Sierra Leone a autorisé les jeunes mamans à réintégrer les bancs de l’école. Cet État de l’Ouest africain avait en effet privé les filles enceintes d’aller à l’école et de passer leurs examens en 2015. Les autorités les estimaient inaptes à apprendre et les voyaient comme une influence négative sur les autres élèves. Cette mesure discriminatoire a impacté plus de 14 000 adolescentes, selon l’ONU. Ces grossesses résultent en grande majorité de viols ou du fait que certaines se sont prostituées pour survivre suite au décès de leurs parents de l’Ebola, selon Amnesty International.

L’organisation est parvenue, avec deux autres ONG, à lever cette interdiction grâce à une action en justice auprès de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Si Amnesty salue cette avancée, elle appelle toutefois la Sierra Leone à dispenser des cours d’éducation sexuelle et à cesser la culture de la honte autour de la grossesse juvénile. Suite à plusieurs entretiens, l’organisation a en effet constaté que les familles arrêtent souvent de soutenir les jeunes filles tombées enceintes et que celles-ci se font lourdement stigmatiser par leurs enseignant·e·s.

3. investigation des crimes perpétrés contre les civils

Raqqa est détruite © AI Syrie

« Strike Tracker » : c’est le projet lancé par Amnesty International en 2018 pour recenser précisément les destructions qui ont ravagé Raqqa, en Syrie. Une première enquête de l’organisation a démontré en 2017 que la coalition menée par les États-Unis a procédé à des bombardements ayant violé les droits humains. Si la coalition a fini par reconnaître ses responsabilités et a revu les pertes civiles à la hausse, Amnesty estime qu’elles ne constituent que la pointe de l’iceberg.

C’est la raison pour laquelle elle a poursuivi son enquête en créant « Strike Tracker », un outil de récolte de données participatif permettant de dresser un bilan précis de l’ampleur des attaques à Raqqa. Plus de 3000 volontaires de 124 pays ont participé à l’effort d’Amnesty, en analysant des images par satellite afin de repérer et dater la destruction des bâtiments. Une première étape pour rendre justice aux victimes de la guerre civile syrienne.

4. un pas vers les personnes en situation de handicap

Vadim Nesterov, Kazakhstan  © AI

Après la publication de son rapport Life without legal capacity in Kazakhstan en 2018, et grâce à la mobilisation de l’Association des psychanalystes du pays, Amnesty International est parvenue à rétablir la justice pour Vadim Nesterov, un homme atteint de déficience intellectuelle. En effet, la loi en vigueur au Kazakhstan permet de déclarer « inapte » toute personne souffrant de déficiences intellectuelles, l’empêchant d’étudier, de travailler et de se marier. Sa vie est alors confiée aux mains d’un tuteur ou d’une tutrice, sans aucune possibilité de recours.

Basé sur de nombreux entretiens, le rapport d’Amnesty met aussi en lumière le cas de Margarita Loutchenkova, déclarée « inapte » à la demande de son frère, alors qu’elle était absente du Tribunal. Celle-ci mène une vie indépendante ; elle a un commerce, gère ses finances et s’occupe de sa maman. Cependant, au nom de la loi, elle n’est pas autorisée à contrôler ses biens et peut être hospitalisée sans avoir son mot à dire.

En démontrant que le Kazakhstan a failli à ses obligations en tant qu’État partie à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, Amnesty a permis de rétablir les droits légaux de Vadim Nesterov.

5. libération d'une femme ayant accouché d'un enfant mort-né

© AI Teodora del Carmen Vásquez, El Salvador

Teodora del Carmen Vásquez a été condamnée à 30 ans de prison pour avoir accouché d’un enfant mort-né. Éprise de violentes douleurs, cette Salvadorienne a perdu son bébé après avoir enfanté en étant inconsciente. Cette situation dramatique lui a valu d’être inculpée en 2008 pour « homicide avec circonstances aggravantes » : au Salvador, les fausses couches sont assimilées à des avortements, eux-mêmes considérés comme des crimes. Ce pays d’Amérique centrale est intransigeant sur l’avortement, qu’il considère comme illégal, même en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la mère. Amnesty International a commencé à militer en faveur de Teodora en 2015, à travers des pétitions, des manifestations et des lettres.

L’ONG a aussi appelé le ministre de la Justice à l’acquitter et à revenir sur les peines de toutes les femmes incarcérées pour des motifs liés à la grossesse. La jeune femme sera finalement libérée en 2018, après avoir passé dix ans derrière les barreaux. Aujourd’hui encore, d’après la Fondation pour l’application du droit, le Salvador compte une vingtaine de femmes emprisonnées pour de tels faits.

6. un mineur qui a évité la peine de mort

© Miikka Pirinen/ai Moses Akatugba, Nigeria

Avoir volé trois téléphones portables, de l’argent et des bons d’achat : c’est le crime qui a valu à Moses Akatugba, 16 ans au moment des faits, le châtiment de peine de mort. L’adolescent s’est fait embarquer par les autorités nigérianes en 2005, alors qu’il se rendait chez sa tante. Restée sans nouvelles, sa famille a appris son arrestation via un marchand ambulant ayant assisté à la scène. Ce jeune lycéen a été contraint de signer des faux aveux, obtenus sous la torture. Il écope de dix ans de prison à l’issue d’un procès inique.

En 2013, après huit ans derrière les barreaux, Moses est cette fois condamné à la mort par pendaison. Aux côtés d’autres organisations actives au Nigeria, Amnesty International s’est emparée de son cas, en exigeant que les autorités commuent sa condamnation à mort, et enquêtent sur les actes de torture perpétrés par la police. Des militant·e·s du monde entier se sont joint·e·s à l’action d’Amnesty en écrivant des lettres et en envoyant massivement des messages par Facebook et Twitter au gouverneur de l’État du Delta, au Nigeria. Moses sera finalement gracié le 28 mai 2015. Une fois libéré, le jeune homme a promis de militer pour les droits humains et d’aider à l’émancipation des victimes de torture.