Les membres d'Amnesty dénoncent l'injustice publiquement, comme ici en Angleterre. © AI
Les membres d'Amnesty dénoncent l'injustice publiquement, comme ici en Angleterre. © AI

MAGAZINE AMNESTY 60 ans d'Amnesty International: la justice au cœur Comment tout a commencé...

Par Carole Scheidegger. Article paru dans le magazine AMNESTY n°105, juin 2021
Amnesty International s’engage depuis soixante ans pour un monde plus humain. Au fil des ans, l’organisation a su évoluer et est prête à relever les défis qui l’attendent.

Année 1961 : dans un café de Lisbonne, deux étudiants trinquent à la liberté. Le geste est risqué, car le pays est sous la coupe de la dictature militaire ; ils seront effectivement condamnés à plusieurs années de prison. Lorsque l’avocat britannique Peter Benenson apprend le sort réservé aux deux Portugais, il refuse de rester les bras croisés. Le 28 mai Peter Benenson, 1991. © Miguel Arana Peter Benenson, 1991. © Miguel Arana 1961, il publie dans The Observer un article intitulé « The Forgotten Prisoners ». Il alerte l’opinion du monde entier sur le destin des prisonniers et prisonnières politiques et appelle le public à écrire aux gouvernements pour demander leur libération. Son cri éveille un immense écho. Trente journaux impriment son « Appeal for Amnesty », plus d’un millier de personnes offrent immédiatement leur soutien.

Amnesty International était née, fondée sur l’idée qu’en s’unissant, des gens comme vous et moi pouvaient changer le monde. Aujourd’hui, l’organisation compte dix millions de membres dans le monde entier.

Beaucoup de choses ont été accomplies durant ces soixante années. Des dizaines de milliers de personnes emprisonnées en raison de leurs convictions ou de leur mode de vie ont retrouvé la liberté. Plusieurs dizaines de pays ont aboli la peine de mort. Des criminels réputés intouchables ont dû répondre de leurs actes devant la justice. Des lois ont été modifiées, des vies sauvées.

D’importants développements

Année après année, le visage d’Amnesty International s’est lui aussi transformé : à ses débuts, ses membres s’engageaient surtout pour les personnes incarcérées en raison de leurs opinions, qui payaient de leur liberté le fait de s’être exprimées en leur âme et conscience. En 1963, le premier prisonnier d’opinion, l’archevêque ukrainien Josyf Slipyi, était amnistié en Sibérie grâce à Amnesty International.

L’organisation s’est ensuite engagée contre la peine de mort, la torture et les disparitions forcées. Dans les années 1970, une nouvelle forme d’action est apparue, l’Urgent Action (action urgente), qui existe encore aujourd’hui. Dorénavant, dès qu’Amnesty a connaissance d’arrestations arbitraires, de menaces de mort, de disparitions forcées, d’actes de torture ou d’exécutions imminentes, elle lance une action urgente pour faire pression sur les responsables.

D’innombrables personnes ont ainsi pu être sauvées, de la Chine au Chili, en passant par la Syrie et le Zimbabwe. Amnesty s’est vu décerner le prix Nobel de la paix en 1977 pour les services qu’elle a rendus à la cause des droits humains.

À ses débuts, Amnesty était une organisation d’aide aux personnes emprisonnées ; elle s’est ensuite engagée
pour les droits humains civils et politiques, puis sociaux, culturels et économiques. De nos jours, elle lutte notamment
pour les droits des femmes, le respect des droits humains dans la sphère économique, les droits des réfugié·e·s, la justice climatique et, depuis le déclenchement de la pandémie, pour l’accès équitable aux vaccins et aux médicaments.

L’élargissement de son champ d’action ne s’est pas fait sans heurts. En 1977, l’adoption d’une position contre la peine de mort, que seuls seize États avaient alors abolie, a conduit à la démission de plusieurs membres. Ces débats sont bienvenus, car l’organisation se conçoit comme un mouvement démocratique et fait une large place à l’autodétermination. Certain·e·s estiment qu’avec le temps, Amnesty a perdu de son mordant. D’autres, que les causes qu’elle défend sont devenues trop nombreuses.

Mutations historiques

Amnesty International a été fondée en pleine guerre froide, à une époque où les colonies luttaient pour leur indépendance. Les droits humains étaient devenus un enjeu de pouvoir entre les grandes puissances. La neutralité Agnès Callamard © Eileen Barroso / Columbia University Agnès Callamard © Eileen Barroso / Columbia University d’Amnesty était une condition sine qua non pour inspirer confiance.

Après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’Union soviétique, le contexte international s’est radicalement transformé et de nouveaux défis ont surgi. Puis, les attentats du 11 septembre et la « guerre contre le terrorisme » ont une fois encore rebattu les cartes. La mondialisation et le pouvoir accumulé par les multinationales ont amené Amnesty à se préoccuper de nouvelles thématiques, tout comme l’essor du numérique et les atrocités perpétrées par des groupes armés non gouvernementaux.

La structure de l’organisation a elle aussi évolué. Alors que pendant longtemps le siège d’Amnesty était basé exclusivement à Londres, elle a ouvert ces dernières décennies des bureaux régionaux dans des villes d’Afrique, d’Asie
et du Pacifique, d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, d’Amérique latine et du Moyen-Orient. Ces bureaux régionaux
sont des plaques tournantes indispensables pour les enquêtes, les campagnes et la communication. Ils appuient le travail des sections déjà actives au niveau national dans plus de septante pays.

Parée pour l’avenir

Le temps a passé, mais nous continuons malheureusement à déplorer des atteintes aux droits humains. Amnesty veut être en mesure de poursuivre son engagement de manière efficace selon les axes d’une nouvelle stratégie établie pour les huit ans à venir. La politique de la Section suisse répond à un impératif qui s’exprime en ces termes : « Ensemble pour un monde juste ! Avec d’autres, nous nous engageons dans la durée, avec courage et crédibilité, pour que les droits humains soient respectés, protégés et réalisés dans le monde et en Suisse. » À l’échelle mondiale, l’accent est mis sur les thématiques « Liberté d’expression et place de la société civile » et « Égalité et non-discrimination ». Une partie de nos ressources reste affectée à nos chevaux de bataille historiques, tels que la lutte contre la peine de mort ou l’accès à la justice dans les conflits internationaux, auxquels s’ajoutent des thématiques plus récentes comme les nouvelles technologies et le changement climatique.

En 1961, Peter Benenson a été si ébranlé par le destin de deux êtres humains qu’il s’est lancé dans l’action. Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International depuis mars dernier, s’est elle aussi toujours engagée dans sa carrière pour défendre des cas individuels. En tant que rapporteuse spéciale de l’ONU, elle a par exemple investigué
sur l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Les menaces qu’elle a reçues ne l’ont pas détournée de son objectif. « J’ai enquêté sur ce cas, non parce qu’il aurait été plus important qu’un autre, mais parce qu’il permet de tirer beaucoup de leçons de portée générale. » La nouvelle secrétaire générale d’Amnesty souligne que le monde se trouve à un tournant : « Dans tout ce que nous entreprenons, nous devons penser à demain. Ce que nous faisons ou ne faisons
pas aujourd’hui a des répercussions pour les générations futures. Nous ne devons jamais l’oublier. »


Amnesty en Suisse

Trois ans après la fondation du mouvement international, un groupe Amnesty voyait le jour en Suisse, plus précisément à Genève. Ses quatre premiers membres étaient issus des milieux internationaux de la ville onusienne. Le groupe genevois organisa sa première Assemblée générale le 3 octobre 1967. Dès ce moment-là, il prit le nom de « Section suisse ». En 1969, trois personnes décidèrent de créer un groupe Amnesty en Suisse alémanique, sans savoir qu’il en existait déjà un à Genève. Lorsqu’elles s’en rendirent compte, les deux groupes fusionnèrent et tinrent une Assemblée générale commune le 25 octobre 1970 à Zurich. Aujourd’hui, la Section suisse comprend 130 000 sympathisant·e·s et 1500 militant·e·s engagé·e·s au sein de 66 groupes. Près de 110 000 heures de travail bénévole ont été effectuées en faveur d’Amnesty en 2020. Les salarié·e·s du secrétariat œuvrent sur quatre sites différents : outre le siège à Berne, il existe des bureaux à Genève, Zurich et Lugano. Un comité bénévole chapeaute la section.

Pour en savoir plus sur la Section suisse.