"White Noise", Daniel Lombroso, 2020, 94 min.
"White Noise", Daniel Lombroso, 2020, 94 min.

MAGAZINE AMNESTY Interview Culturelle Les rouages de la radicalisation

Par Olalla Piñeiro Trigo - Article paru dans le magazine AMNESTY n°105, juin 2021
Le journaliste et réalisateur Daniel Lombroso a suivi trois célèbres activistes de l’extrême droite américaine durant quatre ans pour comprendre l’émergence et les motivations de ces mouvements radicaux. Retour sur «White noise», reportage présenté au Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève (FIFDH).
> AMNESTY Pourquoi se focaliser sur les mouvements de l’extrême droite américaine ?

< Daniel Lombroso J’ai commencé à m’intéresser à ces groupes en 2016, une semaine après l’élection de Trump. À l’époque, j’observais une recrudescence des mouvements nationalistes en Europe et aux États-Unis. Lorsque j’ai vu les images de leurs saluts nazis, j’ai eu le déclic. En tant que journaliste, il me semblait primordial d’informer le public des dangers que ces groupuscules représentent. Mon objectif était de rentrer dans la tête de ces activistes pour comprendre leur personnalité, leurs origines et de saisir les mécanismes profonds de leur radicalisation.

> Réaliser un documentaire sur un groupe dont on ne partage pas les idées est complexe. Quelle démarche adopter ?

< C’était un vrai défi personnel. Je suis juif et ma famille est rescapée de l’Holocauste. Parler à des personnes qui nient ma culture et une partie de mon identité est très difficile. Lorsque des propos me heurtaient, j’essayais de montrer que cela ne m’affectait pas car le plus important était d’atteindre mon objectif. Mais j’ai joué la carte de l’honnêteté : je n’ai jamais caché qui j’étais, ni menti sur mes idées et la nature de mes motivations. Ils et elles ont fini par se confier à moi, et j’ai pu m’immiscer dans leur intimité. Gagner la confiance de ces militant∙e∙s d’extrême droite a été un long processus. Il y avait beaucoup de suspicion et de méfiance envers un journaliste comme moi. Les convaincre m’a pris entre 6 et 9 mois.

> Lauren Southern, Mike Cernovich et Richard Spencer sont des personnes blanches et jeunes. Quelle est l’origine de leur radicalisation ?

< Leur radicalisation n’est pas survenue à la suite d’une mauvaise expérience personnelle, comme on pourrait le croire. Elle se nourrit principalement de deux éléments : le premier est la crainte fondamentale que les Blancs deviennent un groupe minoritaire. Ces personnes voient leur quartier changer, se diversifier, et craignent de perdre leurs privilèges sociaux. Puis, elles ont découvert le pouvoir du web. Les réseaux sociaux sont leur moteur, ils leur offrent une reconnaissance sociale jusqu’alors inconnue. « White noise » le montre clairement : lorsque des internautes leur tournent le dos, leur monde s’effondre. Soulignons aussi que ce sont toutes des personnes éduquées. Mike est avocat de formation, Richard a un doctorat et Lauren a suivi des cours universitaires. Durant mon reportage, j’ai pu voir des sympathisant∙e∙s de tous bords les approcher pour leur faire part de leur admiration. Les extrémistes ne sont pas que des individus issus des classes sociales basses, crâne rasé et originaires des États du Sud.

> Dans le documentaire, le discours victimaire est récurent…

< Complètement. Tous les trois se positionnent comme des victimes, que l’on censurerait et priverait de leur liberté d’expression. Ils et elles se sentent incomprises et blâment les autorités de ne pas suffisamment valoriser la race blanche. Mais ce discours est totalement déconnecté de la réalité. En tant que personnes blanches, elles ne subissent aucune violence ou discrimination structurelle mais jouissent au contraire de privilèges sociaux. Peu importe où qu’elles aillent.