Depuis quand militez-vous à Amnesty ? Et quel est votre rôle ?
Reto : Cela fait 26 ans que j’ai rejoint Amnesty. Actuellement, je suis à nouveau responsable du groupe régional de Saint-Gall, qui compte une dizaine de membres actifs.
Elettra : Je suis active au sein de l’organisation depuis l’âge de seize ans. Depuis bientôt deux ans, je coordonne le groupe Amnesty de l’Université de Genève (UNIGE), qui compte entre 80 et 100 membres. J’arrête à la fin de ce semestre car je quitte Genève, mais je reste à Amnesty Suisse en tant que membre.
Avez-vous des exemples d’actions qui ont bien fonctionné ?
Elettra : Nous avions organisé en novembre 2019 une flashmob pour dénoncer la peine de mort. Durant toute la matinée, une personne était assise dans une cage avec un sac sur la tête. À 13 h, des étudiants habillés en prisonniers ont simulé une exécution sur une chaise électrique. Sur le moment je n’ai pas eu l’impression que l’action avait eu beaucoup de retentissement, mais le semestre passé j’ai été interviewée par la radio de l’université et on m’en a reparlé.
Reto : Nous utilisons d’autres formes d’action. Notre plus grand succès a été un concert classique avec un virtuose local, qui avait rencontré un écho très positif dans la presse et auprès de nos donateurs et donatrices. Les paroisses sont également un terrain fertile qui accueille volontiers des présentations d’Amnesty. Une à deux fois par année, nous tenons un stand dans la rue lors de la Journée de l’intégration et dans un lieu public pour le Marathon de lettres.
Est-ce que la pandémie a freiné votre activisme ?
Elettra : Oui, clairement. Au début de la crise, on a continué à se réunir virtuellement, mais plus le temps passe et plus les gens en ont marre. On perd des membres, il y a moins de motivation à participer à nos actions en ligne, bien qu’on ait réussi à se réunir pour faire des vidéos. Cette année, c’est aussi plus compliqué au niveau du renouvellement du groupe. J’espère qu’on aura assez de personnes pour reprendre le flambeau.
Reto : Je n’ai plus eu que des contacts virtuels avec les membres de notre groupe, par téléphone ou par courriel, mais cela ne remplace évidemment pas les vraies rencontres. Le groupe compte des personnalités très intéressantes, une politologue suédoise, un ancien commercial de 82 ans, un informaticien quadragénaire, une éducatrice sociale, un
ancien réfugié kurde et une femme médecin. Elles viennent d’horizons que je n’aurais probablement pas côtoyés autrement. C’est l’un des mérites d’Amnesty que de réunir des personnes très diverses.
Qu’est-ce qui vous motive à vous engager avec Amnesty ?
Reto : En Suisse, notre vie est réglée comme du papier à musique, tout se déroule de façon (trop) organisée. Amnesty va partout dans le monde, en des lieux où la situation est plus chaotique. Elle a un rôle d’aiguillon capable de perturber même les plus puissants, la Russie ou la Chine. Ce qui me plaît également, c’est la dimension internationale du mouvement. Il y a des groupes Amnesty sur tous les continents. Notre groupe a par exemple eu des liens avec Amnesty Ghana, parce que l’un de nous avait à faire là-bas pour son travail.
Elettra : C’est peut-être une idée égoïste en soi, mais le désir de vivre dans un monde meilleur, que ce soit au niveau international ou national. Il y a toujours des choses à améliorer, même ici en Suisse. J’adore rencontrer des personnes qui partagent cette volonté, cette motivation de défendre les droits humains. Les jeunes se demandent souvent quel genre de monde les attend : faire partie d’Amnesty me donne beaucoup d’énergie et d’espoir.
Que diriez-vous à des personnes qui hésitent à rejoindre Amnesty ? Que répondre à celles et ceux qui pensent que
s’engager ne sert à rien ?
Elettra : Je donne souvent l’exemple du Marathon de lettres : on a écrit des lettres l’an passé, et depuis il y a eu des améliorations. Et c’est aussi grâce à nous. Pour les gens qui hésitent à nous rejoindre, je leur dirais que c’est une expérience qui, au-delà d’apporter quelque chose aux autres, amène aussi beaucoup au niveau individuel. J’ai rencontré des gens géniaux chez Amnesty, c’est très motivant. Ça me donne beaucoup d’énergie dans la vie en général. Et si on ne fait rien, évidemment, rien ne va changer !
Reto : J’entends souvent dire que « de toute façon, on ne peut rien faire », que « tout ça ne sert à rien ». Cela me fait donc plaisir que des jeunes comme Elettra répondent : « si, on peut faire quelque chose. » Sur les stands, j’amène chaque fois les « Good News » du magazine Amnesty pour montrer aux gens qu’il nous arrive de remporter des victoires. À Saint-Gall et dans les environs, nous avons un réseau de près de 200 personnes qui écrivent des lettres pour faire cesser les violations des droits humains. Elles ne viennent pas à nos réunions ou à nos manifestations, mais envoient des lettres aux gouvernements. Ce sont de petits gestes qui peuvent avoir un grand impact. C’est ma conviction et mon espoir.
Quels changements au cours de ces dernières années avez-vous observés à Amnesty ?
Reto : Durant mes premières années au sein d’Amnesty, avec les militants de la région, nous ne plaidions que pour des cas individuels. Aujourd’hui, la protection des minorités a gagné en importance, qu’il s’agisse des Ouïghours, des Rohingyas ou des homosexuels et lesbiennes, et les violations des droits humains qui ont des causes systémiques sont plus souvent abordées dans le débat public. Pour moi, ces changements sont parfaitement logiques. En parallèle, nous continuons à nous engager pour des individus.
Elettra : Quand j’ai commencé l’université, on m’avait rendue attentive au problème du harcèlement sexuel. Aujourd’hui, on en parle beaucoup, également au niveau législatif.
Comment jugez-vous l’activisme sur les réseaux sociaux qui prend toujours plus de place ? Avez-vous l’impression
qu’il pourrait remplacer l’activisme de terrain ?
Elettra : Il a pris plus de place car les réseaux sociaux en général ont pris de l’ampleur, et ceci très rapidement. C’est bien de s’adapter au changement social et c’est important qu’Amnesty utilise ce moyen de communication. Mais l’activisme de rue, le contact humain ne pourront jamais être remplacés. Les réseaux sociaux permettent d’atteindre plus de personnes, mais personnellement, je le vois davantage comme un moyen pour amener à l’activisme de terrain.
Reto : De mon point de vue, les réseaux sociaux constituent un nouveau champ d’action pour Amnesty, notamment en ce qui concerne les insultes qu’on y profère contre les femmes et les LGBTIQ+. Un autre point négatif, c’est l’espionnage et la manipulation que permettent ces technologies. D’autre part, son accessibilité est encore inégale. En tant qu’ancien prof d’allemand, je rencontre des réfugiés, par exemple des Érythréens, qui n’ont parfois aucun contact avec leur pays pendant des mois parce que toute connexion y est coupée. Mais il y a aussi des aspects positifs : de manière générale les
connexions sont plus rapides sur le globe, également dans des régions isolées, et les informations circulent désormais
quasiment partout.
Que souhaitez-vous à Amnesty pour ses 60 ans ?
Elettra : Je souhaite que l’on retrouve la motivation de se réunir, au niveau national comme international. Nous avons besoin de recréer des liens au sein d’Amnesty.
Reto : Que dans soixante ans Amnesty ne soit plus nécessaire, parce que tous les droits seront respectés [rires]. C’est évidemment très idéaliste, et je sais que ça n’arrivera sans doute pas, car les êtres corrompus par le pouvoir deviennent mauvais. Je souhaite qu’Amnesty puisse toujours compter sur des activistes qui défendent les droits humains, également dans les régions du monde où cela est plus difficile. Nous devons avant tout soutenir et protéger les personnes qui défendent les droits humains dans ces endroits.