Dans les provinces du nord du Canada, la nourriture coûte cher. Très cher. Les habitant·e·s de ces zones boréales publient régulièrement sur les réseaux sociaux des photos qui témoignent de ces prix stratosphériques : un paquet de biscuits à la vanille : 18,29 dollars. Un pot de nourriture pour bébé : 26,99 dollars. Neuf muffins aux myrtilles : 68,99 dollars. Les prix sont souvent deux ou trois fois plus élevés dans l’Inuit Nunangat, la patrie des Inuit·e·s, que dans le sud du Canada.
Pour la plupart des quelque 65 000 personnes qui peuplent LE NORD CANADA, le budget nourriture – près de 500 dollars par semaine – absorbe une part conséquente du revenu.
Pour la plupart des quelque 65 000 personnes qui peuplent ce territoire, le budget nourriture – près de 500 dollars par semaine – absorbe une part conséquente du revenu. Certain·e·s peuvent à peine se permettre d’acheter à manger : selon un rapport de l’organisation inuit Tapiriit Kanatami (ITK), 76 % des Inuit·e·s de plus de quinze ans vivent en situation d’insécurité alimentaire, six fois plus que la moyenne des Canadien·ne·s.
Ces communautés vivent dans des régions très isolées. Deux communes seulement sont accessibles toute l’année par la route, les autres dépendent du fret aérien et maritime. L’unique embarcadère adapté aux grands bateaux se trouve à plusieurs centaines de kilomètres. Les livraisons en gros de denrées non périssables et de carburant s’effectuent deux à trois fois par année tout au plus. Les aliments frais sont acheminés par avion jusqu’aux minuscules aéroports et à leurs pistes en gravier datant de la Seconde Guerre mondiale.
Sous la domination des entreprises
La crise a des racines historiques : au début du XXe siècle, les communautés inuites ont été forcées de migrer tout au nord du Canada, de s’établir dans des villes et d’envoyer leurs enfants dans des pensionnats.
Les entreprises alimentaires et les sociétés de navigation exerçaient un contrôle exclusif sur la quantité et le type de nourriture que les autochtones pouvaient acheter. Elles conservent jusqu'À nos jours la mainmise sur l'approvisionnement alimentaire du grand nord.
Le gouvernement colonial a empêché les Inuit·e·s de récolter, pêcher et chasser pour leur propre subsistance. Les entreprises alimentaires et les sociétés de navigation qui se sont implantées dans la région exerçaient un contrôle exclusif sur la quantité et le type de nourriture que les autochtones pouvaient acheter. Ces entreprises ont conservé jusqu’à nos jours la mainmise sur l’approvisionnement alimentaire du Grand Nord. Elles coordonnent la plupart des vols et transports par bateau, et elles sont chargées des livraisons de « Nutrition North », un programme national de subventions alimentaires.
Il y a cinq ans, une série de mesures à court terme ont été mises en œuvre, telles que banques alimentaires, soupes populaires et distribution de petits-déjeuners dans les écoles, censées résoudre le problème de la faim dans l’Arctique. Une démarche insuffisante critiquée par l’ITK, qui a publié à la mi-juillet 2021 une stratégie alimentaire globale visant de profonds changements. L’ITK appelle le gouvernement à investir davantage dans les compagnies d’aviation locales, dans la production d’aliments sur place et dans la construction d’entrepôts permettant de stocker les denrées dans les règles de l’art. Le rapport propose en outre d’instaurer un revenu garanti pour les Inuit·e·s à faible revenu et demande que les habitant·e·s du territoire soient associé·e·s aux décisions régissant les investissements dans le programme alimentaire régional.
Ces revendications ont porté leurs fruits : le gouvernement a constitué un nouveau groupe de travail et a promis 163 millions de dollars pour développer et optimiser la sécurité alimentaire.
Jusqu’à ce que les programmes aient déployé leurs effets, les Inuit·e·s ont leur propre stratégie pour que personne n’ait faim : le partage. Celles et ceux qui le peuvent convient leurs voisin·e·s et connaissances à s’asseoir à leur table, ou postent une invitation sur les réseaux sociaux afin d’offrir un repas chaud à un·e inconnu·e dans le besoin.