Un homme noir maquillé d’un trait jaune ambre, une foule arborant un panneau Black Lives Matter, des visages, parfois blessés, d’activistes en colère. Les portraits d’Eve Marie Perrin, ou simplement «Eve», magnifient les corps noirs et queers1. «Les personnes noires sont dépossédées de leur image. Les médias les représentent souvent dans un contexte de violence ou de précarité, en témoignent les images d’Haïtiens sous les décombres ou de groupes d’hommes racisés contrôlés par la police», affirme cette photographe autodidacte. Son appareil, elle le voit comme une arme pour visibiliser la population noire dans toute sa diversité. « Je partage des images positives de personnes queers et noires, qui sont quasi inexistantes dans la communauté LGBTQIA+. Les préjugés et les tabous sont encore nombreux au sein de la population afro-descendante, qui estime souvent que l’homosexualité est une affaire de Blancs. Rappelons que ce rejet est en partie dû à l’import de la religion chrétienne durant la colonisation », appuie la Lausannoise, 26 ans, crâne rasé et longs ongles vernis. Si elle revendique un engagement intersectionnel, c’est l’antiracisme qui a ouvert la brèche.
Eve a dix ans lorsque sa famille s’installe en Suisse, à Yverdon, après une enfance à Haïti. Très vite, la fillette est confrontée au racisme. «Des gens s’étonnaient que je parle aussi bien français ou affirmaient que les Noirs avaient une odeur spéciale. Il y a aussi eu des attaques plus frontales, comme cet homme qui m’a craché dessus en me traitant de sale Noire.» L’université, où elle suit un bachelor en médecine, n’est pas épargnée par les actes racistes. La Vaudoise se souvient de sa colère lorsque des étudiants ont débarqué dans l’auditoire déguisés en Africains, le visage grimé en noir.
La jeune femme a besoin d’extérioriser sa révolte. Aux côtés d’une dizaine de camarades, elle aide à la création de l’association des étudiant·e·s afro-descendant·e·s de l’Université de Lausanne, avec laquelle elle organise conférences et débats. Elle finit par se distancier de ce milieu académique, qu’elle juge trop élitiste. « Je voulais aller sur le terrain pour me connecter aux gens et partager leurs émotions. » L’élément déclencheur : les mobilisations antiracistes. «La période qui a suivi la mort de George Floyd a été extrêmement difficile. J’avais besoin d’agir.» Eve investit alors dans son premier appareil photo, un Canon EOS RP, et commence à immortaliser des personnes racisées. Un projet qui part d’une expérience collective, mais valorise les vécus individuels. Résultat: 3000 clichés en un été, exposés dans les rues de Lausanne.
Depuis, plus question de s’arrêter. Véritable pile électrique, Eve accumule les pratiques artistiques pour mettre en lumière la culture LGBTQIA+: elle organise des soirées voguing, ballroom et des shows drag-queens avec le collectif «4311» qu’elle a co-fondé, photographie des personnalités inspirantes du milieu queer et prépare un documentaire intimiste pour le début de l’année 2022. Et lorsqu’elle n’est pas derrière l’objectif, vous pourrez peut-être la trouver derrière les platines d’un club. À mixer du son afro