AMNESTY: Pourquoi avoir tourné Sìrìrì ?
Manuel von Stürler: J’avais envie de prendre le contre-pied de la montée de la xénophobie et des extrêmes en Europe. Lorsque j’ai appris l’alliance d’un imam et d’un cardinal en faveur de la paix en Centrafrique, j’ai voulu raconter leur histoire. Je ne suis pas expert, je ne fais que recueillir les témoignages de femmes et d’hommes touchés par le conflit.
Ma caméra reflète la réalité d’un pays où les violations des droits humains sont concentrées : violences, abus sexuels, précarité, déplacements internes. Sìrìrì vise à encourager la communauté internationale à s’interroger sur ses pratiques et sa responsabilité dans ce conflit. Il faut se questionner sur les ravages que provoquent la production de nos outils technologiques et l’extraction des diamants.
Des mosquées et des églises ont été brûlées, des villages rasés. Comment établir un dialogue interreligieux alors que vous représentez des communautés «rivales»?
Cardinal Dieudonné Nzapalainga: J’ai un père catholique, une mère protestante: les deux communautés ont toujours été liées. Le conflit en Centrafrique n’est en réalité pas d’ordre confessionnel. La religion a été instrumentalisée par des groupes armés pour servir des intérêts économiques, dans l’objectif de l’accaparement des ressources minières. En allant à la rencontre de la population, l’imam et moi adoptons une démarche progressive. Nous écoutons les témoignages et les traumatismes de notre propre communauté religieuse. Séparément, au début. Puis, nous nous rassemblons pour une médiation afin d’éclaircir les faits. Convaincre les chefs religieux locaux est essentiel pour désamorcer les conflits.
Imam Abdoulaye Ouasselegue: Nous sommes d’une certaine façon la voix des sans-voix. Les civils sont délaissés par l’État et les Casques bleus. Tendre la main à des chrétiens en tant que musulman – et vice-versa – est une invitation au dialogue et une preuve que la réconciliation est possible. Nous écrivons aussi des rapports sur le conflit, notons les revendications de la population pour les adresser au gouvernement. Obtenir des changements concrets permet de gagner la confiance du peuple et de faire avancer la cause.
Justement, quel impact a votre action?
Imam Abdoulaye Ouasselegue: Il y a parfois de l’incompréhension. Mon prédécesseur, Omar Kobine Layam, a été menacé de mort par sa propre communauté, accusé de collaborer avec les chrétiens. Il y a beaucoup de stéréotypes et de méfiance, mais dans une guerre civile il faut nuancer les discours pour permettre le dialogue interreligieux. Nous voyageons aussi à l’étranger pour dénoncer le rôle des puissances étrangères dans le conflit centrafricain, comme celui de la Russie. L’Occident ne peut pas fermer les yeux.
Cardinal Dieudonné Nzapalainga: Plusieurs chefs de milices ont renoncé à exécuter des otages après notre passage, le pape François est allé dans la mosquée du quartier musulman hautement sécurisé de Bangui, le «PK5», pour inciter à enrayer les violences. Il faut que chrétiens et musulmans cohabitent et retissent leurs liens sociaux d’antan. Bien que nous prônions l’esprit de conciliation, les criminels de guerre doivent être poursuivis.
* Omar Kobine Layam, protagoniste du film, est décédé l’année dernière. Son successeur, Abdoulaye Ouasselegue, continue son combat