AMNESTY : Vous habitez en Cisjordanie occupée. À quel point 200 meters est-il autobiographique ?
Ameen Nayfeh : Ma propre famille s’est retrouvée divisée. Petit, je jouais beaucoup chez mes grands-parents à Ar’ara,
près de Nazareth. Après la construction du mur, leur maison s’est retrouvée du côté israélien, et la nôtre en Cisjordanie
occupée. Nous n’habitions qu’à une trentaine de minutes de voiture, mais nous ne pouvions pas nous voir. Quand mon
grand-père est décédé, ma soeur et moi n’avons pas été autorisés à traverser la frontière pour assister à ses obsèques.
Le film est un mélange de ma propre histoire et de recherches que j’ai faites, notamment sur le système des passeurs.
Je ne voulais pas faire de la fiction.
Peut-on dire que vous êtes un réalisateur politisé ?
Je ne fais que raconter ma vie et celle de mon entourage. Les contrôles humiliants aux checkpoints, les barrages sur
la route, c’est notre quotidien. Le film s’inscrit dans un contexte d’occupation, certes, mais il n’est pas pour autant politique. Ce que 200 meters raconte est plus de l’ordre de l’intime : il dépeint la séparation forcée d’une famille. Une réalité qui touche des milliers de Palestiniens.
Dans quelles conditions s’est déroulé le tournage ?
C’était épique ! Nous avons tourné dans 35 lieux sur un total de 22 jours, sans aucune autorisation. Pour éviter les contrôles, tout devait être fait dans l’urgence. Entre l’arrivée sur le lieu d’une scène et le départ, il ne s’écoulait jamais plus d’une demi-heure. Tout ce que vous voyez à l’écran est réel : les checkpoints, le mur et même le sas par lequel transitent les travailleurs palestiniens qui passent la frontière. Je tenais à ce que le public puisse identifier les lieux. Un soir, notre producteur, qui venait de l’étranger, est sorti de la voiture lors d’un contrôle. Les militaires israéliens ont immédiatement pointé leurs armes sur lui. Après nous avoir fouillés et interrogés, ils ont fini par nous laisser partir. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Votre film montre à quel point le peuple palestinien est entravé dans ses mouvements…
C’est même le cœur de 200 meters. La limitation de la liberté de circuler a toujours existé, mais le COVID-19 a aggravé la situation. Contrôle strict des frontières par Israël, lockdown et couvrefeu, nous étions enfermés chez nous. Mais comme on aime à en plaisanter entre Palestiniens : « on est sans doute le peuple le mieux préparé ».
Comment évaluez-vous l’impact de votre travail ?
Lorsque le film a été projeté en Palestine, il a été très bien accueilli car le public s’identifiait à l’histoire. Il a aussi été diffusé à l’international : au Brésil, au Mexique et à la Mostra de Venise, où j’ai gagné le prix du public. Je me considère comme un narrateur, persuadé que raconter des histoires peut produire un changement. Je ne sais pas de quelle
ampleur, mais je crois aux petits pas. Le pouvoir d’une histoire est inarrêtable.