«Juste de l’autre côté, on peut voir la colonie israélienne avec ses piscines, ses pelouses vertes et ses jardins fleuris – alors qu’ici, nous devons économiser chaque goutte d’eau pour faire pousser nos légumes », raconte Rania Suheir* en montrant du doigt le paysage sec et vallonné. Elle travaille à la ferme Om Sleiman, un petit projet agricole de permaculture en Cisjordanie. Grâce à des méthodes de culture proches de la nature, l’équipe palestinienne essaie non seulement d’utiliser les maigres ressources disponibles de la manière la plus écologique possible pour proposer des aliments biologiques locaux, mais aussi de sensibiliser la population locale à la culture durable. « L’eau est l’un de nos principaux problèmes. Nous ne savons pas comment payer les taxes exorbitantes. »
«Les Palestiniens ne manquent pas d’eau pour des raisons écologiques. C’est l’occupation qui a établi un système de distribution injuste.»Michael Lynk, ex-rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés
La région est classée semi-aride, ce qui signifie que l’eau est rare, mais qu’il y en a. Car sous les terres de Cisjordanie se trouve l’aquifère de montagne, un immense réservoir d’eau souterraine. Les températures moyennes n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières décennies et la quantité d’eau de pluie a diminué. Selon le PNUE – Programme des Nations Unies pour l’environnement –, la moitié des puits de Cisjordanie sont déjà à sec. L’augmentation de la popula- tion ne fait qu’aggraver la pénurie d’eau. Du moins pour les quelque trois millions de Palestinien·ne·x·s.
Pas de problème écologique
Depuis le début de l’occupation en 1967, Israël contrôle toutes les ressources en eau dans les territoires occupés. Avec les accords d’Oslo de 1995, on semblait s’orienter vers une égalité dans la répartition des ressources en eau. « Mais cet accord, prévu pour une durée de cinq ans, a cimenté les rapports de force », explique Michael Lynk, le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, qui vient de terminer son mandat. Ce territoire est parsemé de colonies toujours plus nombreuses, et contient également la majorité des terres agricoles et des sources d’eau. Le gouvernement israélien y garde aujourd’hui encore le contrôle. Dans les accords d’Oslo, Israël s’est vu attribuer 80 % de l’eau provenant de l’aquifère de montagne. « Les Palestiniens ne manquent pas d’eau pour des raisons écologiques », souligne le professeur de droit constitutionnel et des droits humains. « C’est l’occupation qui a établi un système de distribution injuste. »
Jusqu’à ce jour, l’eau reste presque entièrement entre les mains d’Israël, ce qui entraîne des inégalités flagrantes. Alors que les citoyen·ne·x·s israélien·ne·x·s ont toujours suffisamment d’eau en Israël et dans les colonies, les autorités militaires israéliennes limitent l’accès de la population palestinienne dans les territoires occupés par le biais d’ordres militaires. L’armée israélienne ne délivre presque jamais d’autorisations pour de nouvelles pompes, puits ou autres infrastructures. Même la collecte de l’eau de pluie est interdite dans la plupart des régions de Cisjordanie. L’armée israélienne détruit régulièrement des citernes ou des bassins d’eau de pluie. La ferme Om Sleiman prévoit également de construire un bassin de collecte d’eau de pluie dès qu’elle aura récolté suffisamment de dons. « Chaque infrastructure que nous construisons risque d’être détruite par l’armée israélienne », explique Rania Suheir.
Aucun développement possible
Selon l’ONU, 660 000 Palestinien·ne·x·s de Cisjordanie n’ont qu’un accès limité à l’eau, et près de 420 000 personnes consomment en moyenne moins de 50 litres par jour et par personne. Une quantité bien inférieure aux 100 litres recommandés par l’OMS. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, le prix de l’eau que la population palestinienne doit acheter est jusqu’à huit fois plus élevé que celui des colonies. Rania Suheir estime également que la ferme Om Sleiman paie son eau environ trois fois plus cher que la colonie d’en face.
Selon l’ONU, près de 420 000 personnes consomment en moyenne moins de 50 litres par jour et par personne. Une quantité bien inférieure aux 100 litres recommandés par l’OMS.
Du point de vue du gouvernement israélien, c’est surtout l’Autorité palestinienne qui est responsable des problèmes d’eau, car elle ne répare pas les conduites qui fuient et n’investit pas dans des stations d’épuration. Il y aurait également beaucoup de vols d’eau. Michael Lynk dément : « Les autorités palestiniennes ont certes une responsabilité dans les lieux qu’elles administrent, mais la responsabilité finale incombe à Israël. Le droit international dit clairement que la puissance occupante est tenue d’administrer les territoires qu’elle contrôle dans le meilleur intérêt de la population occupée. Cela implique que les Palestiniens aient accès à l’eau potable. » Le morcellement de la Cisjordanie et son occupation empêchent la construction de routes et la mise en place d’un approvisionnement stable en énergie et en eau, car ces infrastructures traversent la zone C, contrôlée par Israël, et nécessitent donc des autorisations.
Une autre source d’eau dans la région est le Jourdain, qui relie les montagnes du Liban à la mer Morte. Mais l’eau du fleuve reste inaccessible pour les Palestinien·ne·x·s de Cisjordanie : la quasi-totalité de la vallée fertile du Jourdain est sous contrôle israélien, parsemée de colonies et de zones militaires interdites. Il est défendu aux Palestinien·ne·x·s de l’utiliser ou d’y séjourner. Israël détourne 95 % de l’eau du Jourdain au niveau du lac de Tibériade, dans le nord du pays, avant même qu’elle n’atteigne la Cisjordanie. Dans les années 1960, l’État hébreu avait construit un système de canaux de 130 kilo- mètres de long qui achemine l’eau du lac vers Israël. Les conséquences pour la mer Morte sont dramatiques : depuis des années, le niveau de l’eau baisse d’un mètre par an. Résultat, les eaux souterraines des régions environnantes s’écoulent en direction de la mer Morte. La pénurie d’eau va donc encore s’aggraver en Cisjordanie.
Eau dangereuse à Gaza
La situation est encore pire dans la bande de Gaza, densément peuplée et qui compte environ 2 millions d’habitants. Ici aussi, l’eau provient d’une nappe phréatique, qui s’étend le long de la côte, d’Israël jusqu’à la frontière égyptienne. Pourtant, selon la Banque mondiale, seule 1 % de la population de Gaza a accès à une eau potable répondant aux normes de l’OMS. En effet, en raison d’une surexploitation massive, l’eau de mer pénètre depuis des années dans l’aquifère côtier, entraînant une salinisation et une hausse des taux de nitrate – avec les conséquences que cela implique pour la santé. La population est contrainte d’utiliser une eau de mauvaise qualité, responsable de plus d’un quart de toutes les maladies à Gaza. Plus de la moitié des enfants souffrent de diarrhées. Les taux élevés de nitrates sont nocifs pour la santé et entraînent des troubles du développement cérébral et de la croissance chez les enfants.
Au cours des dernières années, les différentes attaques aériennes sur la bande de Gaza ont en outre détruit de nombreuses canalisations. En raison du blocus, il est pratiquement impossible d’importer des matériaux de construction à Gaza, et donc de réparer les installations détruites ou d’en construire de nouvelles. Les coupures d’électricité permanentes empêchent souvent les pompes et les installations de traitement des eaux usées et de dessalement de fonctionner. Ainsi, selon l’ONU, 90 % des ménages de la bande de Gaza doivent acheter de l’eau à un prix très élevé.
*Le nom a été modifié pour protéger la personne.