Élever les bras vers le ciel, cambrer son dos, tournoyer doucement sur soi- même : les participant·e·x·s s’imprègnent de la chorégraphie à leur rythme, en amont du spectacle. « Le but de ces ate- liers, c’est de reproduire les mouvements des danseurs pour se connecter avec leurs sensations », explique Corinne Doret Bärtschi, en sirotant son thé des moines dans un petit café d’Yverdon. Cette Genevoise de 50 ans est la cofon- datrice d’Écoute voir, une association qui favorise l’accès aux arts vivants pour les personnes atteintes d’une déficience visuelle ou auditive. Pièces de théâtre, opéras, ballets, sketchs : ses bénévoles adaptent une soixantaine de représentations par année dans toute la Suisse romande. Dans des petites salles de cam- pagne, comme dans les grands théâtres.
Petite-fille d’un metteur en scène et nièce de comédiens, elle n’est pas directement concernée par le handicap. Elle y est pourtant sensibilisée depuis petite, elle qui a grandi auprès de deux grands-tantes atteintes d’une déficience auditive. « La communication n’a jamais posé de difficultés. Je ne me rendais pas vrai- ment compte de leur handicap, tant elles avaient de la facilité à lire sur nos lèvres. »
Ecoute voir est le fruit de son expérience de vie, dont les racines s’ancrent au Théâtre de Vidy, à Lausanne. L’an- cien directeur, René Gonzalez, s’était donné pour objectif de démocratiser son théâtre. Alors chargée de communication de l’institution, Corinne Doret Bärtschi a contribué à améliorer l’accessibilité des spectacles en ajoutant l’audiodescription. C’est devenu son « dossier de cœur ».
Ado déjà, elle est frappée par le manque d’inclusivité des arts vivants, lorsqu’elle observe qu’une femme du public n’a d’autre choix que de raconter elle-même une pièce en langue des signes à une amie. « C’est injuste qu’un pan entier de la société soit exclu », déplore cette mordue de théâtre, à la sensibilité apparente. C’est pour pallier ce manque qu’elle crée en 2014 Écoute voir.
Pionnière dans le domaine, l’association propose une large palette de prestations : audiodescription, interprétation en langue des signes directement sur scène et surtitrage projeté sur un écran. Avec l’inclusivité comme leitmotiv. « Le but n’est pas de créer une sorte de bulle, avec des spectacles réservés aux personnes en situation de handicap. On souhaite pleinement les intégrer dans la vie culturelle. » Raison pour laquelle elles choisissent les spectacles, aident les interprètes à améliorer leur gestuelle, et testent le matériel au préalable pour les réajustements. Car une préparation rigoureuse est indispensable. Écoute voir propose aux spectateurices avec un handicap visuel de toucher en amont les décors et les costumes « pour mieux s’identifier à la pièce ». Sans parler du « boulot monstre » du staff, qui doit réus- sir à transmettre de l’émotion via l’audiodescription, ou trouver les mots justes pour décrire un ballet. Une minute de spectacle équivaut à environ une heure de travail.
Des efforts qui finissent par payer : en 2018, l’association reçoit le label de la culture inclusive. « Des personnes qui pensaient que le théâtre n’était pas fait pour elles peuvent, elles aussi, voir des pièces adaptées à leurs besoins », se réjouit cette éternelle optimiste. Si l’offre en est encore à ses balbutiements en Suisse, la demande ne cesse de croître, avec de plus en plus d’institutions culturelles qui souhaitent adapter leurs structures. Et peut-être qu’un jour l’inclusivité constituera « l’ADN des théâtres », selon le scénario rêvé de Corinne Doret Bärtschi.