L'eau qui sortait du robinet était un bouillon nauséabond brun-rouille. Les autorités avaient assuré que tout était en ordre. Celles-ci ont ignoré les avertissements, négligé les tests. Pendant un an et demi, les habitant·e·x·s de Flint, dans le Michigan, ont bu cette eau contaminée au plomb, l'ont utilisée pour se laver et pour cuisiner. Dans cette ville industrielle appauvrie, la teneur en métaux lourds dépassait partout les valeurs tolérables, jusqu’à atteindre parfois la catégorie des «déchets toxiques». Pas moins de 100 000 personnes se sont plaintes d'éruptions cutanées, de vomissements et de perte de cheveux. Près de 100 personnes ont contracté la légionellose et 12 en sont mortes. En 2016, l'état d'urgence a été déclaré et les habitant·e·x·s ont dû être approvisionné·e·x·s en eau en bouteille.
Des dommages évitables
Le droit à l’accès à l'eau potable des habitant·e·x·s de Flint a été bafoué à plusieurs reprises – par cupidité. Dès le printemps 2014, les autorités ont commencé à puiser l'eau potable dans la rivière Flint – une rivière polluée par l'industrie automobile – au lieu de le faire comme auparavant dans le lac Huron à Détroit. Dans le seul but d'économiser de l'argent. L'eau corrosive de la rivière a attaqué les anciens tuyaux en plomb, libérant ainsi le métal lourd toxique. Pour les enfants en particulier, un taux élevé de plomb dans le sang a de graves conséquences. L'intoxication au plomb peut endommager le cerveau, freiner la croissance et provoquer des problèmes de comportement. Cette catastrophe aurait pu être évitée : le traitement des canalisations contre la rouille, auxquels les responsables ont délibérément renoncé, aurait coûté environ 100 francs.
Face au refus de l'administration de répondre aux questions des gens, la confiance dans les institutions a été fortement ébranlée. Les gens sont descendus dans la rue. Beaucoup tenaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «L'eau est un droit humain» – un droit souvent négligé aux États-Unis. Lorsque l'Assemblée générale de l'ONU a voté en 2010 sur la reconnaissance de l’accès à l’eau comme étant un droit humain, les États-Unis se sont abstenus. Flint n'est pas un cas isolé : environ 2,5 % de tous les enfants américains souffrent d'un empoisonnement au plomb dû à l'eau polluée. Les personnes à faible revenu, les populations noires et indiennes sont particulièrement touchées.
«Pas un droit fondamental»
Le scandale de Flint est devenu un symbole de l'injustice sociale aux États-Unis. Dans cette ville majoritairement peuplée de Noir·e·x·s, les autorités ont d'abord rejeté toutes les plaintes. L'État du Michigan et la ville de Flint ont tenté d’argumenter que l'eau n'est pas un droit garanti par la Constitution. Une position que la mairie de Flint a conservée jusqu’à ce que la pression publique devienne trop forte. Le maire n’a d’ailleurs pas été réélu en 2015.
Peu après, le chef de l'Agence de protection de l'environnement du Michigan a démissionné. Plusieurs habitant·e·x·s ont déposé une plainte collective, déclenchant une longue bataille juridique. Ce n'est qu'en novembre 2021 que le tribunal de district a décidé que l'État du Michigan devait verser aux victimes un dédommagement, à hauteur de 626 millions de dollars. Les premiers bénéficiaires de cette somme sont les personnes qui étaient mineures au moment du scandale, et qui étaient donc exposées au plus grand risque pour leur santé.
Entre-temps, l'approvisionnement en eau de Flint a été rattaché à Détroit et toutes les anciennes conduites restantes devraient être remplacées d'ici septembre 2022. Ces travaux de révision auraient déjà dû se terminer en novembre 2020, mais 1900 foyers attendent toujours. Selon les autorités, la qualité de l'eau est désormais conforme aux normes nationales. Mais la population reste sceptique, et la demande d'eau en bouteille reste donc élevée. La communauté lutte toujours contre le traumatisme d'avoir été empoisonnée par son propre gouvernement.