AMNESTY : Pourquoi avoir consacré un livre aux femmes ?
Françoise Thomé : Je voulais leur rendre hommage. Durant mes études, les références médicales étaient toujours les hommes, blancs, 1 m 80, 70 kg. Et pourtant, on sait que les symptômes ressentis par les hommes et les femmes diffèrent, comme pour les maladies cardiaques. C’est aussi un milieu très sexiste. Je voulais faire de la chirurgie réparatrice, mais j’ai vite changé d’avis lorsque j’ai vu comment les femmes étaient insultées, harcelées et dénigrées en salle d’opération. Rien que ce printemps, il y avait un article dans la Revue Médicale Suisse qui s’interrogeait sur la façon de revoir le métier après le Covid. Quatre hommes, aucune femme interrogée, et cela alors que la pandémie a clairement mis en avant le rôle essentiel de ces dernières. Quelle ironie ! Même si le milieu évolue, la médecine est un territoire encore dominé par les hommes. L’idée de mon livre est de corriger cette injustice globale. Je voulais que les femmes cessent d’être minorisées et se retrouvent en première page. Durant ma carrière, j’ai entendu beaucoup d’histoires fortes, et je ne voulais pas qu’elles partent aux oubliettes.
Patient’Elles compile des histoires très intimes. Ce sont des vrais récits ?
Ces histoires sont le fruit de mes souvenirs. Mais je suis soumise au secret médical, qui m’empêche de révéler l’état de santé de mes patientes. J’ai donc changé les détails nécessaires, comme les prénoms, les lieux ou certains détails du récit, pour que mes patientes ne puissent pas être reconnues. Certaines histoires sont très proches de la vérité, d’autres sont des mix de différents vécus. C’est un roman, mais basé sur des témoignages.
Vous semblez avoir un rôle qui dépasse celui du simple médecin…
J’ai toujours préféré la qualité plutôt que la quantité. Les assurances me reprochaient de passer trop de temps avec mes patientes ! Certaines étaient seules, dans des situations précaires, et trouvaient chez moi un espace d’écoute. Elles me confiaient parfois des problèmes très intimes. Mon rôle ne s’arrêtait pas au simple diagnostic : j’ai fait des papiers pour défendre des requérantes qui devaient faire des examens médicaux pour prouver que leur enfant était bien le leur, je suis allée plusieurs fois au tribunal pour aider des patientes, j’ai aussi écrit des lettres pour des personnes analphabètes, parfois même pour contester la facture d’un garagiste. Je vois la médecine comme un métier humain, comme celui des gens, qui sort du pur aspect technique.
Vous aviez des patientes sans-abri, des sans-papiers, ou qui ont subi des abus sexuels. Comment s’adresser à elles ?
Plusieurs patientes sans-papiers ne parlaient pas français. Les consultations n’étaient pas faciles, on communiquait avec des gestes. Elles étaient souvent anxieuses car elles craignaient d’être repérées, elles vivaient presque recluses. Elles avaient peur de tomber malades car elles risquaient de perdre leur travail. Je faisais aussi des consultations au centre d’hébergement de La Coulou, près du Rhône. Les personnes sans abri sont délaissées et leur accès à la santé est catastrophique. Certaines n’avaient pas enlevé leurs chaussures pendant 3 mois, elles refusaient tout contact physique. C’était un long processus pour gagner leur confiance et leur faire comprendre qu’elles avaient droit à des soins. Vous savez, j’ai voyagé comme médecin au Cameroun et en Namibie. Mais je me suis rendu compte qu’il n’y a pas besoin d’aller à l’étranger pour faire de l’humanitaire.