AMNESTY : Pourquoi avoir commencé à écrire à un détenu dans le couloir de la mort ?
Valentine Cuny-Le Callet : J’ai toujours été sensible à la question de la peine de mort. Mais lorsque j’ai appris que, en 2015, plus de la moitié de la population française était favorable à son rétablissement, j’ai décidé de m’engager à l’ACAT. J’avais 19 ans lorsque j’ai commencé ma correspondance avec Renaldo Mc Girth.
N’est-il pas difficile de correspondre avec quelqu’un qui pourrait être coupable de meurtre ?
Je ne voulais pas tout de suite faire des recherches sur Renaldo, pour partir sur un « pied d’égalité » et faire taire mes préjugés. J’ai par la suite appris qu’il avait été condamné pour le meurtre d’une femme, Diana Miller, lors d’un braquage chez elle. La vision que j’avais de lui n’a pas changé : Renaldo a déjà été jugé, ce n’est pas mon rôle. J’ignore comment j’aurais réagi si j’avais correspondu avec quelqu’un qui avait commis un crime à caractère sexuel ou raciste. Peut-être que je n’aurais pas pu devenir son amie, mais j’aurais tout fait pour que la correspondance fonctionne. Je suis convaincue qu’on ne peut pas se dire opposé à la peine de mort « sauf pour certains crimes ».
Et aujourd’hui, comment décririez-vous votre relation avec Renaldo ?
Il est devenu un confident, un ami. J’ai de la chance d’être tombée sur lui, on s’est tout de suite bien entendus. Nous partageons plein de passions : la musique, la littérature, et le dessin bien sûr.
Perpendiculaire au soleil a été produit à quatre mains. Comment est né le projet ?
J’ai ressenti le besoin de partager nos échanges, notre amitié et mes réflexions sur la brutalité du système carcéral. Renaldo a tout de suite été partant. J’ai aussi espoir que cette BD sensibilise les gens, en exposant les liens entre prison, classisme et racisme. En montrant aussi que si certaines familles de victimes sont favorables à la peine de mort, d’autres y sont fermement opposées.
Écrire ce livre a dû être un vrai défi, à cause de la censure et des règles strictes de la prison où il est incarcéré…
Absolument ! Le règlement relatif aux correspondances est très strict : des formats précis, l’interdiction de représenter certains symboles, pas de papier rigide. Renaldo ne pouvait pas recevoir certains matériaux. Plusieurs lettres que je lui ai envoyées m’ont été retournées, avec souvent des prétextes flous. J’ai dû découper des images pour qu’elles passent les contrôles. Renaldo n’a toujours pas pu voir son propre livre, mais il sait ce qui y figure car je lui ai tout décrit.
Renaldo fait part de sa souffrance à plusieurs reprises. Vous êtes-vous déjà sentie impuissante ?
Bien sûr. J’ai une position privilégiée, alors que Renaldo passe 23h/24 dans une cellule de 5 m2, sans fenêtre. Il a droit à une visite par semaine ; il n’est pas autorisé à travailler, et ne peut donc pas subvenir à ses besoins. Or, en prison on n’est pas totalement nourri, logé et blanchi... Encore maintenant, je me demande si je suis utile, si ce projet n’est pas superficiel. Mais lorsqu’il m’a dit que cette BD lui permettait de faire partie du monde, j’ai compris que ça en valait la peine.