© Lea Berndorfer
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MAGAZINE AMNESTY Aimer malgré tout Lutter pour l'amour

Par Jean-Marie Banderet, Maik Söhler (Allemagne) et Julia Trampitsch (Autriche). Article paru dans le magazine AMNESTY n°111, décembre 2022.
L’amour est un droit humain... Mais pouvoir vivre cet amour n’est toujours pas une évidence en 2022, comme le montrent trois exemples choisis par les rédactions de Suisse, d’Allemagne et d’Autriche qui ont participé à ce dossier.
21_22_Texte Suisse_Binationaux.jpgMariage conditionnel

La Suisse n’est sans doute pas le premier pays qui vient à l’esprit lorsqu’on se pose la question : « où est-il difficile de se marier ? » Alors oui, il n’existe plus aujourd’hui tant d’obstacles pour les couples qui ne détiennent pas le passeport rouge à croix blanche, pour autant qu’ils arrivent à se procurer les documents demandés par l’état civil, et à prouver leurs « bonnes intentions ». Mais il suffit de remonter quelques décennies pour constater que tout n’était pas si facile, en particulier pour les femmes. «Ce n’est qu’en 1953 que la Suisse a fait un petit geste pour améliorer la position des femmes dans la citoyenneté », explique Heidi Kolly, conseillère et thérapeute auprès de l’association suisse frabina, qui propose des consultations sur le thème de la cohabitation entre personnes de nationalités et de cultures différentes.

Concrètement, cela signifie que ce n’est que depuis cette date qu’une Suissesse qui se mariait avec un étranger pouvait prétendre garder sa nationalité, si – et seulement si – elle le demandait. Il faudra attendre la révision de la Loi sur la nationalité suisse en 1992, pour que cette procédure devienne automatique. Et par la même occasion abolisse la naturalisation automatique des femmes étrangères mariées avec un Suisse. Ces dernières, tout comme les maris de Suissesses, doivent avoir séjourné en Suisse cinq ans, dont l’année précédant la demande, pour pouvoir accéder à une naturalisation facilitée après trois ans. Les enfants nés de mère suisse n’obtiennent quant à eux la nationalité que depuis 1978.

Si la Confédération a lâché du lest sur la citoyenneté des femmes suisses au cours des cinquante dernières années, elle a en revanche renforcé les liens entre le droit matrimonial et les règles d’immigration. Des règles basées sur le soupçon. Le Code civil prévoit en effet explicitement le cas de figure d’une personne fiancée qui chercherait à « éluder les dispositions sur l’admission et le séjour des étrangers ». Auquel cas l’officier d’état civil ne doit pas entrer en matière sur la demande de mariage. Autre obstacle, les documents à fournir par la personne allogène : les obtenir dans le pays d’origine et les faire traduire complique énormément la procédure. Déposer une demande de mariage peut en outre s’avérer risqué si vous n’êtes pas dans les règles. Ainsi, depuis 2011, pour éviter que des mariages puissent être conclus avec des personnes en situation illégale, l’état civil peut accéder aux données des autorités migratoires. Il est également tenu d’annoncer aux autorités compétentes les candidat∙e∙x∙s au mariage qui ne peuvent pas prouver la légalité de leur séjour en Suisse.  

21_22_Texte Allemagne_Pride.jpgLa «question queer» divise

 Pouvoir désirer qui l’on veut – cela ne va pas de soi pour les LGBTQIA+ en Allemagne. Si les couples « queer » sont reconnus par la loi, les crimes haineux sont pourtant en augmentation. Plus d’un million de personnes ont participé à la plus grande pride d’Europe, organisée à Cologne en juillet dernier. Un record d’affluence jamais égalé et un signe fort en faveur de la tolérance et la diversité. En août, un homme trans a été assommé lors de celle de Münster, pour avoir – semble-t-il – tenu des propos lesbophobes. Malte C. a succombé à ses graves blessures quelques jours plus tard. Ces deux événements de l’été 2022 marquent les pôles entre lesquels évolue la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, queer, intersexe et asexuelle (LGBTQIA+) en Allemagne : d’un côté une forme d’émancipation en public, l’affirmation d’une identité spécifique, et de l’autre une haine non dissimulée envers les personnes queer.  « La violence et l’intolérance envers les LGBTQIA+ ont toujours existé, mais elles ont récemment fortement augmenté», déclare Rupert Haag, porte-parole de QueerAmnesty.

En 2021, la police criminelle allemande a enregistré 870 délits liés à « l’orientation sexuelle » et 340 liés au « genre/à l’identité sexuelle ». Cela correspond à une augmentation de 50 %, respectivement 66 %, par rapport à l’année précédente. Mais la situation réelle est sans doute bien plus dramatique car de nombreux cas ne sont pas déclarés, à en croire le ministère de l’Intérieur. En 2020, une enquête de la European Union Agency for Fundamental Rights avait conclu que près de la moitié des personnes de la communauté LGBTQIA+ interrogées avaient déclaré avoir été victimes de discrimination. Parmi elles, 10 % avaient subi des agressions physiques (20 % chez les personnes trans), mais seulement 14 % d’entre elles avaient contacté la police.

Fin août, le délégué queer du gouvernement fédéral – le poste n’existe que depuis 2022 – a présenté un plan d’action national pour améliorer l’acceptation et la protection de la diversité sexuelle et de genre. Le plan prévoit entre autres d’inscrire dans la constitution l’interdiction de la discrimination envers les personnes queer, mais aussi de former les pédagogues aux questions d’identité sexuelle et de genre. Il demande également la mise en oeuvre de mesures de protection contre les violences et d’une assistance aux victimes. Enfin, il propose d’enregistrer les crimes de haine dans un registre séparé. Un comité d’expert∙e∙x∙s chargé de « lutter contre la violence homophobe et transphobe » a d’ailleurs été mis en place par le ministère fédéral de l’Intérieur. QueerAmnesty salue le projet : « Ce serait un grand pas en avant pour les droits des personnes queer en Allemagne. Il ne reste plus qu’à espérer que sa mise en oeuvre soit rapide et non bureaucratique. » Car ces personnes ont souvent souffert de retards dans la réalisation de projets par le passé, comme lors l’indemnisation des homosexuels condamnés en vertu du « paragraphe 175 » dans l’Allemagne d’après-guerre.  

21_22_Texte Autriche_Femmes SDF.jpgRencontres au centre d’accueil

Tout le monde a besoin de personnes à qui se confier, d’un environnement sûr, d’un lieu où se reposer. Mais ces besoins, les personnes sans logement ou sans abri ne peuvent pas les satisfaire. Pourtant, la chaleur et le réconfort des relations humaines sont primordiaux dans les phases difficiles de la vie.

«Ce sont ces échanges sociaux qui nous font vivre. Nous avons besoin d’être bienveillants les uns envers les autres», explique Elvira Loibl, directrice du centre d’accueil pour femmes FrauenWohnZentrum de Caritas, à Vienne. Pour les personnes sans logement ou sans abri, les centres de jour et autres structures d’aide aux sans-abri constituent des «lieux de rencontre», dans lesquels des contacts se nouent, des relations se tissent. «Les femmes peuvent y échanger des informations et se donner des conseils. Certaines femmes nouent même des amitiés durables», explique Elvira Loibl. Selon elle, c’est souvent grâce à ces échanges que les femmes osent accepter d’autres services d’aide aux sans-abri.

Anita, qui a elle-même fréquenté un centre d’aide aux sans-abri, confirme l’importance de la cohésion et de la compréhension mutuelle : « Là-bas, on avait toujours quelqu’un à qui parler. Les femmes ont toutes une histoire similaire. » Malgré les temps difficiles, elles y trouvent convivialité et entraide.

Outre les échanges entre elles, les relations avec le personnel jouent un rôle important dans l’aide aux sans-abri. « Il y a des femmes que nous connaissons depuis 15 ans. Dans ces cas-là, les assistantes sociales qui les suivent sont particulièrement importantes, car elles connaissent leur histoire », raconte Elvira Loibl. Établir cette confiance mutuelle est un élément central du travail social. Elle est également importante pour traverser les crises.

Pour Elvira Loibl, « il est primordial que nous nous donnions du temps pour nous écouter, nous regarder, apprécier les moments passés ensemble. » Les lieux qui le permettent sont particulièrement importants. Des exemples comme le FrauenWohnZentrum montrent combien les structures adaptées aux besoins des groupes marginalisés sont nécessaires. Or, celles-ci ne sont pas suffisamment nombreuses en Autriche.